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Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Mar 1 Sep 2009 20:20
de Franz
Bonsoir tous,

Je suis en ce moment en pleine interrogation existentielle.

J'ai un CAP de ferronnier et ai commencé à apprendre la dinanderie. En gros, j'ai acquis les bases de ces métiers.
Le travail du métal est pour moi une réelle passion.

Pour l'instant, j'ai un petit atelier où je bricole en tant qu'auto-entrepreneur. Loin d'être mon objectif de vie, cette situation est un compromis en attendant de me former complètement, chose que j'entreprendrai quand j'aurai rendu ma vieille baraque salubre.

Je me questionne sur l'orientation professionnelle. Notamment sur le statut d'artisan. J'aurai besoin de vos retours d'expérience. N'est-ce pas là, d'une certaine manière, un frein à la créativité d'être tenu par les charges, la rentabilité et la bourse du client ? Je parle de frein, pour exprimer l'impossibilité de faire ce qu'on veut, de passer des semaines sur une pièce, d'utiliser n'importe quel métal au service de la beauté de la pièce.
D'ailleurs, ma question est là, est-ce réellement une impossibilité ?
Avez-vous le temps de faire ce genre de pièces, ou bien n'en est-il question que lorsque se présente un client pour qui le coût importe peu (comme il doit se compter sur les doigts d'une main) ?
Ne voyez pas dans mon discours de jugement quelconque, c'est purement et simplement une question innocente...
De l'autre coté, la condition d'artisan m'attire, j'aime pouvoir honorer une commande, avoir un client satisfait, étudier avec lui les possibilités, etc... La reconnaissance sociale aussi...

D'un autre coté, donc, dans ma conception du métier, se situe l'artiste. Là, on peut délirer, seulement il faut que ça se vende, il faut se battre dans la jungle des marchands d'art, et cela éventuellement pour crever de faim... Cette situation ne m'est pas inconnue, une personne de ma famille était dans cette situation d'artiste non reconnu. Je ne veux pas vivre ça.
Reste la solution d'avoir un boulot alimentaire peinard et bien payé ;-), qui permette d'avoir le temps et les moyens de "faire l'artiste" le dimanche. Pas évident...

Reste la possibilité d'être enseignant. Dans le travail du métal. La transmission du métier est elle aussi une dimension passionnante. Mais y'a-t-il vraiment des débouchés de ce coté-là ?

Bref... to be or not to be...
Je n'attends pas de vous de me dire ce que je dois faire mais des retours d'expérience, vos réactions...
Merci.

Re: Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Mar 1 Sep 2009 21:45
de Roland PINON
Salut Franz,
tu poses LA bonne question !
"Pourquoi je fais ce métier ?"
Pour ma part je suis installé comme artisan dans un petit village du sud depuis 15 ans et le métier que je fais aujourd'hui n'est pas celui que je pensais faire à mes débuts. Moins de créations pures et plus de "ferronnerie de service public" mais cela n'est pas déshonorant et pas d'agréable car il y a deux aspects du métier. Le travail d'abord, toujours très varié, et ensuite le contact avec les clients qui est aussi bien souvent une source d'enrichissement personnel et de satisfactions.
De toutes façons, il y a deux choses : se faire plaisir et faire plaisir à son client. C'est presque impossible de tomber sur le client qui te laisse la bride sur le cou et qui ne compte pas les billets de 100. D'autant plus qu'au début de la commande, tu vends à ton client un objet qui n'existe pas ! Au mieux c'est un joli dessin ou une petite photo.
Lui rêve de quelque chose qu'il a souvent du mal à réellement définir précisément et toi tu lui promets de combler ses attentes. A la sortie, même si tu as fait un travail superbe, la satisfaction de ton client (de lui et de sont épouse souvent !) reste aléatoire. Il y a aussi la situation où on te demande de reproduire ce qui est sur le "bôô magazine" ou une réalisation que tu as déjà faite.

Moralité : bien souvent la créativité est mise un peu de côté pour avoir une définition précise, convenue et rassurante pour le client (et le ferronnier) de ce qui va être produit.

La seule solution pour faire parler sa créativité sans toutes ses contraintes est, à mon sens, de réaliser des objets puis de les vendre.
La négociation du prix est plus facile car l'objet et sous les yeux du client et donc on vend quelque chose de tangible.
Personnellement, je suis donc dans une démarche de production très variée qui fait de moi un artisan avec un clientèle qui aime mon travail et qui me donne une qualité de vie appréciable (pas de la richesse ! de la qualité de vie... nuance).
Pour la création, il me reste un peu de temps par-ci par-là et je réalise des choses vraiment personnelles sans contraintes en utilisant les capacités de production de mon atelier. Quand ces choses se vendent je suis content, sinon ce n'est pas grave.
Je vis ma vie d'artisan et je ne me noie pas dans l'angoisse de l'artiste incompris.
Bref la créativité est une chose.. la relation commerciale une autre. Certains arrivent surement à faire se rejoindre les deux.
Pour moi c'est un peu la quadrature du cercle.

Une dernière chose qui n'a rien à voir avec l'enclume... être artisan c'est être à l'atelier mais aussi être derrière son PC pour les devis, les factures et piloter sa "petite entreprise". Et ce deuxième métier, bien peut y sont préparés ! Perso, ça m'a pris plusieurs années et pas mal de stages du genre "bien vendre ce que je fabrique", "calculer mes prix" et "le bilan est mon ami" pour me sortir du brouillard où je naviguais et où mon modeste BAC technique ne m'était d'aucune utilité.

Re: Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Mer 2 Sep 2009 00:28
de BDelor
Cette remarque est à encadrer et à regarder tous les matins !!!!
Roland PINON a écrit:Une dernière chose qui n'a rien à voir avec l'enclume.....être artisan c'est être à l'atelier mais aussi être derrière son PC pour les devis ,les factures et piloter sa "petite entreprise". Et ce deuxième métier bien peut y sont préparé! Perso ça m'a pris plusieurs années et pas mal de stages du genre "bien vendre ce que je fabrique", " calculer mes prix" et "le bilan est mon ami" pour me sortir du brouillard où je naviguais et où mon modeste BAC technique ne m'était d'aucune utilité.


Sinon, puisque tu sollicites des retours d'expérience, en voici quelques uns issus de la mienne :

- le statut d'artisan : à mon avis, mieux qu'auto-entrepreneur : un statut affiché d'artisan (avec son numéro SIRET, son macaron de la chambre de métiers, etc...), hé bien cela rassure le client.

- la manière de vivre de son activité : pour ma part, j'avais un taff d'ingénieur, avec deux enfants à charge, et j'étais un petit nouveau dans la coutellerie artisanale. J'ai donc gardé mon taff alimentaire de salarié et je me suis déclaré en parallèle comme artisan coutelier. Avantage : c'est sécurisant, on ne prend pas de risque, et on peut monter tout doucement en compétence, en expérience, créer sa clientèle, sans avoir la pression, constituer son atelier et son outillage sans se coller un prêt sur le dos avant même d'avoir commencé. Inconvénient, et pas des moindres : 2 métiers en parallèle, cela veut dire ne jamais souffler, jamais de vacances, oublier les grasses matinées et les week-ends tranquilles. Bien se demander aussi si le (ou la) conjoint(e) est disposé(e) à partager cette aventure...

- la part de créativité : j'ai une activité de coutellerie "traditionnelle" (pliants, chasse, etc...), et une activité plus "couteau d'art" (armes blanches orientales). Je constate que la première activité tourne bien et génère la majorité de mes commandes. Sinon, je garde un peu de temps chaque année pour faire quelques pièces exceptionnelles, et j'en vends de temps à autres à ces collectionneurs, mais ce n'est pas le cœur de mon activité. Il faut garder à l'esprit que, au bout du compte, c'est la demande du client qui aura le dernier mot.

Re: Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Mer 2 Sep 2009 21:37
de thierry loeve
Je rejoins Roland sur beaucoup de points : il faut concilier création et alimentaire, faire des compromis et avoir une excellente gestion. A commencer par celle du temps.
Mais tous cela ne vient qu'après avoir décidé ce que l'on veut faire vraiment, autrement dit pourquoi on se lève chaque matin sans le regretter... Peu importe la forme, c'est tout d'abord un choix de vie.

J'ai fait le choix de l'artistique. Le choix du statut artisan s'est imposé de lui-même, avec son lot de charges, le mobilier n'entrant pas dans les cases de l'art si ce n'est celui d'appliqué, selon le canon FFFrrrrrançaois... vaste débat.

Toujours est-il qu'au bout de 5 ans, je n'ai toujours pas de revenu mais un chiffre d'affaires en constante augmentation, des créations uniques, des rencontres uniques, pas de crédit sur le dos, peu de vacances, du travail devant moi, de beaux projets (encore faut-il que le budget passe) et je n'ai aucune honte de ce qui a été accompli car (je touche du bois) je n'ai jamais eu de client insatisfait (évidemment puisque je travaille les pièces jusqu'à ce qu'ils le soient, hé,hé !).
Mais je vis à la campagne, ai peu de besoin, un loyer bas et ma compagne qui me supporte, dans tous les sens du terme, a un peu de revenu. Bref beaucoup de chance.

Bref, j'arrive juste à équilibrer charges et entrées.
Pourquoi ? Parce que la création prend du temps, que la pièce unique prend du temps, donc je ne peux pas avoir plusieurs chantiers en même temps. J'ai essayé afin de satisfaire tout le monde : je ne recommencerai pas.

Mais j'ai la chance d'avoir des demandeurs patients et compréhensifs. Je ne considère pas ceux qui s'adressent à moi comme des "clients" car il s'agit en général de personnes qui sont, quelque part, dans la même recherche et se prêtent au jeu de la création en commun. Cela me fait découvrir d'autres façons de voir, un autre regard sur ce que je fais, d'autres directions de recherche. Et nombreux deviennent des amis.

Et de temps en temps, je m'arrête et délire dans mon atelier des pièces que je présente sur les salons comme représentatives de mon savoir faire. Et quand cela plait, ça débouche sur de nouveaux projets.

Donc il ne s'agit pas de frein à la créativité mais de décider où l'on place celle-ci : seul dans son atelier dans une action auto-centrée, ou ouvert sur le monde, ou les 2 ?

Re: Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Mer 2 Sep 2009 23:47
de Roland PINON
Quand thierry dit
je n'ai jamais eu de client insatisfait (évidemment puisque je travaille les pièces jusqu'à ce qu'ils le soient, hé,hé !).

Il me semble entendre le discours des copains ébénistes, maitres-verriers et céramistes ;
"Je m'échine à fournir des choses abouties car je m'investis à fond dans mes créations. Je ne compte pas mes heures (de toute façon je facture au forfait !), je suis à l'écoute des désirs de mes clients (ce qui me coûte beaucoup d'énergie... mais j'en ai à revendre car j'aime mon boulot !), je me bats pour faire aboutir des projets incertains sur lesquels j'investis du temps et de l'énergie (...mais j'en ai à toujours à revendre car j'aime mon boulot !), et à l'arrivée je tire un peu la langue car les jours ou j'ai pas trop la pêche je doute un peu de la possibilité de vivre correctement de mon savoir-faire, de mes belles idées et de mes créations originales !"

Il faut une foi sans faille et une vitalité à toute épreuve et un entourage favorable pour vivre dans ce contexte.

Je ne connais pas Thierry et je suis sûr qu'il est heureux dans ce qu'il fait (et fait très bien au vu des photos de son site !) ; mais attention Franz, je vois aussi beaucoup d'artistes qui s'épuisent et s'aigrissent à suivre un chemin qui implique de nombreux sacrifices (financiers, familiaux, etc...) . Un artiste vit pour son art et la reconnaissance est un plus qui arrive ou non et lui apporte la sécurité matérielle ou non. Et même si elle arrive et vous couvre de bienfaits, nombre d'artistes se trouvent alors enfermés dans la demande non plus de clients, mais de galiéristes.
Un "artisan-de-service-public" est moins impliqué dans ce qu'il fait tous les jours et est donc moins en "première ligne" pour ce qui est de l'engagement personnel dans ses réalisations. Et parfois, c'est reposant !

Et quand il à le "feu", il peut se faire plaisir et est libre de... passer quelques demi journées par mois, ses week-end et ses soirées à... forger bien sûr !

Re: Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Jeu 3 Sep 2009 11:13
de Franz
Roland PINON a écrit:Un artiste vit pour son art et la reconnaissance est un plus qui arrive ou non et lui apporte la sécurité matérielle ou non. Et même si elle arrive et vous couvre de bienfaits, nombre d'artistes se trouvent alors enfermés dans la demande non plus de clients, mais de galiéristes.

Le coup de l'artiste, je le connais bien, l'ancien mari de ma mère était un artiste, avec tout ce que cela comporte : la folie, l'inconfort (et ceci est un bien faible mot) et le jeûne, non pas dans un but religieux, mais dans le but de pouvoir acheter le cuivre ou l'or nécessaire à ses créations. Il était graveur à l'eau forte et faisait aussi des pièces de marqueterie et autres.
De reconnaissance, il n'a eu que celle d'un grand galiériste parisien et véreux, ayant récupéré une grande partie de son œuvre (d'une façon assez ignoble) qui dort sous clé attendant le jour ou ça se vendra, ce qui le fera riche (le galiériste).
L'artiste en est mort, d'ailleurs.

Alors coté "La vie d'artiste", je suis plutôt vacciné...

Roland PINON a écrit:Un "artisan-de-service-public" est moins impliqué dans ce qu'il fait tous les jours et est donc moins en "première ligne" pour ce qui est de l'engagement personnel dans ses réalisations. Et parfois, c'est reposant !
Et quand il à le "feu", il peut se faire plaisir et est libre de... passer quelques demi journées par mois, ses week-end et ses soirées à... forger bien sûr !

Bien sûr, c'est reposant. Et je pense que mon but est d'allier les deux. L'alimentaire permettant d'être à peu près sûr de pouvoir vivre décemment, et la création pure pour un client ou pour soi-même en plus.

Je suis rassuré de voir que vous avez finalement le temps quand même, un peu, de laisser place à la création.

Re: Question d'orientation : statut d'artisan et créativité

MessagePosté: Dim 18 Oct 2009 13:26
de brindacier
Notez que, si on prend la question par l'autre bout, de nombreux artistes doivent exécuter des tâches un peu "mercenaires" pour survivre ou carrément faire à côté un boulot alimentaire. Donc en pratique, les situations se rejoignent même si les statuts sont différents.
Et ce n'est pas demain qu'on aura un statut d'artisan d'art qui nous permette de ne plus être assis entre deux chaises.
Donc tout ça est une question d'équilibre entre des travaux rentables et ennuyeux, et d'autres moins rentables et plaisants.
De temps en temps, c'est rentable et plaisant, et là c'est la fête...