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Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Ven 25 Mar 2011 01:50
de philippe21
Salut à tous ,

Je suis nouveau sur ce forum et déjà un grand bravo pour tous les couteliers amateurs ou pro fabricants de damas. Oui car étant chasseur de grand gibier en Côte d'Or, je suis admirateur du damas.
Me baladant certaines fois dans les fêtes de la chasse où j'ai pu rencontrer plusieurs couteliers fabriquant des dagues en damas, je voulais vous poser une question :
Je possède moi-même deux couteaux de chasse en damas que j'ai payés autour de 600€ et 800€ chacun. Quand je paie ce prix pour un damas classique, torsadé ou autre, c'est parce que connaissant le processus de fabrication, je reconnais qu'il y a du travail.

Mais est-ce que tous ces couteliers fabriquent réellement tous leurs damas ou est-ce que certains achètent des produits déjà finis ? Car je pense que lorsqu'on achète un damas, on achète une certaine signature du coutelier et si ce n'est pas lui qui fait son damas, cela retire une certaine valeur au couteau, non ?

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Ven 25 Mar 2011 08:43
de cardoso5fr
La très grande majorité des forgerons font leurs propres damas, mais il y a aussi des gens qui font des barreaux de damas et les vendent. Rien n'empêche quelqu'un qui fait son propre damas d'acheter une barre à un autre damasseur, ne serait-ce parce que ce dernier réalise un motif qui n'est pas dans le style du premier. Cela n'enlève absolument rien au travail qu'il y a derrière. Même si ce n'est pas le même artisan qui a réalisé le couteau et qui a fait le damas, le damas a été fait par quelqu'un d'autre et cela a le même prix (voire même plus).

Après, il y a les damasteel et autres damas inox qui sont un peu différents.

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Ven 25 Mar 2011 09:24
de bpc
Moi, je trouve qu'à partir du moment où l'on considère le damas comme une matière première, et que l'on se contente d'en faire un plat que l'on meule, ce n'est pas trop important de savoir qui l'a fait au départ.
Il en va autrement quand on forge l'acier jusqu'à la forme finale.

Mais bon, c'est un sujet qui peut donner lieu à pas mal de polémiques. De toute façon, philippe21, ta question lance des polémiques qui vont vite tourner à "qui est vraiment coutelier et qui ne l'est pas ?", vu que c'est une activité où chacun définit ce qu'est être un coutelier, évidemment en fonction de ce qui l'arrange, bon courage pour la suite du sujet...

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 00:26
de BDelor
Je ne crois pas que le sujet soit à ce point polémique. Il y a des couteliers qui travaillent par enlèvement de matière, se concentrent sur le montage et les finitions, et vont utiliser, voire même reforger des damas qui ne sont pas de leur fabrication; il y a des couteliers qui forgent également leur propre damas; il y a même, comme l'a souligné Cardoso, des "damasseurs" qui se consacrent exclusivement à l'élaboration de damas complexes et ne se préoccupent pas de coutellerie...

Pour commencer, il faut bien voir qu'à partir du moment où l'on discute de valeur (financière) d'un couteau, on entre dans une logique particulière, celle du collectionneur, ce qui est une branche bien à part dans le monde de la coutellerie artisanale. bpc a raison de souligner qu'il y a d'autres approches qui verront le damas comme une matière première plutôt que comme une "création".

Ces dernières années ont vu se développer un intérêt particulier des collectionneurs pour les couteaux entièrement fabriqués de A à Z par le même artisan, mais c'est loin d'être une règle absolue.
D'abord, historiquement, c'est au contraire la division du travail qui était pratiqué, dans des contextes aussi diverses que l'industrie Thiernoise, les armuriers orientaux, les ateliers d'état soviétiques... et ce tout simplement parce que l'excellence dans des domaines aussi différents que la forge, le polissage, le montage, la gravure, la sculpture, la ciselure, etc est difficile à maîtriser pour une seule personne.
Ensuite, même actuellement, des pièces de collection gagnent au contraire en valeur du fait des signatures d'artisans de renom (souvent des graveurs, ou des damasseurs) associées à celle du coutelier.

Personnellement, je penche pour la collaboration avec d'autres artisans, (même si je forge mon propre damas), parce que je considère que dans certains domaines, d'autres feront bien mieux que moi, et qu'au final la pièce y gagnera en qualité. Mais à mon avis il n'y a pas de pratiques plus ou moins valables, le seul point important est la transparence vis à vis du client qui doit savoir ce qu'il aura pour la somme d'argent - souvent importante - qu'il investit, et la confiance qu'il accorde à l'artisan.

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 09:56
de bpc
BDelor a écrit:D'abord, historiquement, c'est au contraire la division du travail qui était pratiqué, dans des contextes aussi diverses que l'industrie Thiernoise, les armuriers orientaux, les ateliers d'état soviétiques... et ce tout simplement parce que l'excellence dans des domaines aussi différents que la forge, le polissage, le montage, la gravure, la sculpture, la ciselure, etc est difficile à maîtriser pour une seule personne.

Juste une précision par rapport à ton propos, par ailleurs très sensé :
L'histoire de la coutellerie, c'est évidement que le coutelier faisait tout ce qu'il vendait. Ca veut dire que pour les maitres, il s'agissait de faire tous les types de couteaux, de ciseaux, d'instruments de chirurgie, etc... dans le même atelier, sans aucune sous-traitance, et à partir de matériaux bruts. C'est ça le métier de coutelier.

Évidemment, avec l'industrialisation, et dés le début du 18°siècle, il s'agit de fragmenter le métier pour abaisser les coûts. Ainsi, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire maintenant, des villes comme Thiers n'ont jamais été des villes de couteliers, mais des villes de spécialistes, appelés forgeron, trempeur, émouleur, polisseur, monteur, essuyeur, etc... Ce ne sont pas des capitales de la coutellerie comme le comprend le public, mais des capitales de l'industrie en coutellerie.
La coutellerie n'a jamais eu de capitale, elle était "décentralisée" et plurielle.

L'excellence était maitrisée par les maitres locaux, tout simplement, par le contact permanent avec les clients. Cela engendre une grande connaissance et une grande adaptation à leurs besoins.
Au contraire, dans l'industrie coutelière, on perd le contact avec le client et l'on fait des produits standards.

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 13:07
de BDelor
bpc, je suis tout à fait d'accord avec toi sur la question de l'industrialisation du travail, mais si la fragmentation du travail s'est répandue à partir du XVIIIème siècle dans un logique d'augmentation de la production et de baisse des coûts, paradoxalement elle existait aussi depuis fort longtemps dans une démarche inverse de recherche d'excellence : Zlatoust, dans la Russie tsariste, sous Pierre le Grand (avec déjà, en effet, une dimension industrielle) pour la fabrication d'armes blanches décorées, mais aussi les grands ateliers d'artisans d'Ispahan ou de Samarkand à partir du XVIème siècle, bien avant le développement industriel.
Voilà qui nous emmène bien loin de la question initiale....

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 13:11
de bpc
BDelor a écrit:Voilà qui nous emmène bien loin de la question initiale....

Oui, mais les choix techniques sont le résultat d'une histoire... qu'il reste à écrire.

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 13:22
de BDelor
Pour en revenir à l'utilisation de l'acier "damas" dans une lame, effectivement il y a eu à l'origine des choix techniques bien éloignés des pratiques actuelles. Il s'agissait de travailler soit sur l'homogénéité des aciers (par corroyage), soit sur les caractéristiques mécaniques de lames avec une approche dans l'esprit des matériaux composites, soit enfin avec une visée esthétique, cette dernière approche étant aujourd'hui prépondérante.
Dans les deux premiers cas, il s'agissait bien d'accroître la qualité objective de l'objet dans son utilisation quotidienne.
Avec l'approche ornementale, on est au contraire dans une démarche plus "artistique" et donc la notion de valeur devient tout de suite plus délicate à aborder...

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 13:24
de bryan
Le choix du damas, n'est-il jamais un choix technique selon vous ?

Re: Prise en compte de l'origine d'un acier damas dans la valeur d'un couteau

MessagePosté: Sam 26 Mar 2011 13:32
de BDelor
Le choix d'un damas aujourd'hui est surtout une affaire esthétique, parce que les aciers industriels modernes offrent déjà par eux-même un niveau de qualité remarquable.
Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y ait pas un certain intérêt à travailler encore sur des lames composites pour certains besoins bien particuliers.
Cela ne veut pas dire non plus qu'il n'y ait pas de notions techniques à prendre en compte en faisant du damas, ne serais-ce que pour garantir un niveau de qualité au moins égal à celui d'un bon produit industriel, et au delà pour tirer un parti intelligent des mariages de nuances que l'on effectue.

Et pour revenir à la question de départ, bien sûr, associer à un couteau la signature d'un damasseur de renom est un plus pour sa valeur. Pour info, la notion de damasseur a été popularisée par des grands noms comme Daryl Meier ou Heinz Denig.