Page 1 sur 1

Techniques de battage d'armure

MessagePosté: Mer 15 Aoû 2012 13:44
de percemaille
Bonjour à tous,
après une longue hésitation, je me suis enfin décidé à poster photo et descriptif technique de mon harnois sur-mesure afin de vous expliquer les choses que j'ai apprises en le réalisant. Comme j'ai pu le remarquer, certains s'intéressent à ce vieux métier perdu depuis des siècles, c'est pourquoi je souhaite partager avec vous ces techniques de travail de la tôle.

Voici une photo de l'armure complète (le casque est de fabrication industrielle) :


Pour vous situer un peu, cette reproduction d'armure date de la fin du XIVème siècle voire même début XVème. Elle est constituée d'une Corrazina (cotte de plaques), gantelets, jambière, bras, basés sur les pièces de fouilles retrouvées au château de Churburg. On ne parlera pas du casque car il n'est pas réalisé de manière historique...

Afin de commencer mes explications je vous propose de parcourir les différentes pièces de cette armure en détail.

La première chose à savoir sur le battage d'armure, c'est qu'une armure se doit d’être la plus proche du corps : elle doit épouser les courbes !

Les gantelets ont été réalisés en acier doux de 15 dixièmes de millimètre suivant une technique très utilisée dans la fabrication d'armure : la rétreinte ; le but étant de ne jamais étirer la matière, ne pas affiner la tôle car la protection se verrait être moins performante.


Le principe est simple : il suffit de partir d'un "cylindre" riveté du diamètre le plus grand du gantelet, c'est à dire la fin de la clepsydre (après le poignet), et de diminuer le diamètre de ce cylindre passe après passe afin d'arriver au diamètre du poignet. Ce procédé a pour effet d'épaissir la pièce à l'endroit le plus sensible : le poignet.


On travaille ainsi les 2 extrémités du gantelet afin d’obtenir une forme de sablier, l'endroit de plus petit diamètre étant l'endroit le plus résistant. Ensuite, il faut emboutir, rétreindre la forme des métacarpes : cela va aussi apporter de la résistance et de l’esthétisme. La partie forge est terminée mais on n'a pas fini. Maintenant que la forme globale est atteinte, il faut planer et écrouir la pièce afin de la rendre lisse et plus résistante. Pour ce faire : marteler méticuleusement chaque mm² de la pièce. Enfin le fourbissage du gantelet peut être réalisé : meuleuse, disque abrasif grain 80 et en avant ! Puis polissage, couture, assemblage et voilà le travail !


Voilà pour ce qui est des gantelets. L'outillage employé est une bigorne, un marteau à rétreindre, des marteaux de planage et de la patience.

Les bras d'armures sont réalisés en utilisant les mêmes techniques : rétreinte, planage, fourbissage, polissage. Bien sûr les formes doivent être fidèles à celles du porteur. Je vais me pencher sur la partie du coude car c'est exactement le même principe que pour forger un casque d'une pièce : contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas la pointe qui sort de la tôle, mais la tôle qui se repousse sur elle-même pour former la pointe. De ce fait, la pointe de la coudière est résistante à souhait et peut constituer une arme supplémentaire. Le but va être de tracer sur la tôle des cercles concentriques de diamètres différents afin d'avoir les lignes de passe tout en travaillant. Lorsque la chaude est prête, le travail se fait sur la bigorne avec le marteau à rétreindre : on part du centre, on frappe la tôle en donnant de l'angle à cette dernière afin de ne pas entendre le son de l'enclume mais bien celui de la tôle qui se déforme. De ce fait, je sais que je n'écrase pas l'acier à chaud, donc je ne l'étire pas. Il faut suivre avec le marteau les cercle tracés. Il est très important de bien vérifier que le cercle rétreint soit sur un seul plan, de profil comme de face (les cercles étant tracés au dessus). Une vidéo explicative sera plus compréhensible :



Voici une photo de la pièce finie ainsi qu'une photo de la pièce de fouille :


Voila, je m’arrête là pour aujourd'hui, cela me permettra de répondre à d'éventuelles questions avant de parler de la Corrazina ainsi que des jambières. En espérant que cela vous ait plu. La suite prochainement !

Re: Techniques de battage d'armure

MessagePosté: Mar 21 Aoû 2012 20:30
de percemaille
Suite et fin de la présentation de cette armure.
Je vais maintenant vous parler de la corrazina : pour commencer, la base de la corrazina est un plastron sur lequel on fixe des lames en bas que l'on appelle Braconnières et qui vont simplement permettre de protéger le bas ventre sans pour autant gêner le mouvement car ces braconnières se rétractent les unes dans les autres. La partie la plus difficile au niveau du plastron, c'est le patronage car lors de la déformation à chaud, on ne retombe pas vraiment sur ses pattes, donc en principe je me laisse un peu de marge et j'ajuste.

Une fois le plastron forgé : rebelote, planage mais moins poussé car tout est recouvert de cuir. On notera que les parties en extrémités en contact avec la gorge et les bras ont été enroulées afin de ne pas se blesser. Ensuite, j'ai fait quelques trous pour insérer les clous qui maintiendront le cuir par ailleurs. Je ne comprenais pas vraiment l'utilité des deux arcs de cercle que forment les clous mis à part le côté esthétique. En fait, il s'est avéré que c'est très pratique pour tendre le cuir sur le plastron et je pense que c'est le fait de comprendre pourquoi les choses sont telles qu'elles étaient qui est le plus enrichissant.

Je vais être obligé de faire une petite ellipse car je n'ai pas de photo du montage des braconnières mais je vais tenter de vous expliquer et si jamais, sur la photo de la pièce de fouille, on voit à peu près. Donc ces lames sont maintenues seulement par le cuir par une rangée de clous sur la partie supérieure de celles-ci. De ce fait, elles se chevauchent et le cuir de pli quand on les fait remonter.

A gauche de l'image la partie de devant, et à droite la partie arrière, constituée de presque 90 plaques. Là aussi, le plus gros du travail, c'est le patronage afin d'avoir une coupe bien cintrée. Pour ce qui est de l'assemblage de ces plaques sur le cuir, c'est le même principe que les braconnières si ce n'est que tout est fait à plat et les plaques sont ensuite mises en forme à la main. En tout cas, c'est ainsi que je l'ai fait mais je pense honnêtement que tout était mis en forme avant montage.
Voici une photo du dos une fois terminé :

La fermeture de cette cuirasse se fait dans le dos, c'est à dire que je ne peux pas la mettre tout seul... très pratique ! Et pour ce faire, j'ai fait 8 boucles avec des chapes qui sont rivetées sur les plaques du dos.

La pièce de fouille sur laquelle je me suis basé avait une finition velour et non cuir mais je me suis aussi basé sur une statue pour le dos :


Re: Techniques de battage d'armure

MessagePosté: Mar 21 Aoû 2012 22:33
de percemaille
Pour finir, les jambières : elles ont été réalisées avec 4 aciers d'épaisseurs différentes : 15 dixièmes doux pour la cuisse et le genou, 12 dixièmes ressort pour les lames d’articulation en dessous du genou, 10 dixièmes pour la plaque du flanc de la cuisse ainsi que celle juste au dessus du genou et 8 dixièmes pour les grèves (tibias et mollets).

La partie cuisse est travaillée à chaud afin de donner la forme du porteur au métal comme je le disais et pour ce faire, on travaille toujours en rétreinte. Juste en dessous, la première lame d'articulation est bombée sur l'extrémité qui est à l'intérieur de la genouillère afin que lorsque l'on plie la jambe, cette plaque sorte et vienne se bloquer par frottement au bord intérieur de la genouillère. Autant vous dire que les ajustements ne sont pas très bons pour les nerfs.

Pour les grèves, il y a un gros boulot de forge, plus précisément de rétreinte et de planage : arriver à faire tout cela bien symétrique et aussi bien ajusté pour ne pas être trop serré dedans ni trop large car elles descendent en marchant et ça fait mal aux pieds. Donc le but est encore une fois de partir du diamètre maximum, c'est à dire à la hauteur du mollet et de rétreindre l'acier pour suivre les différentes courbes du bas de la jambe (assez complexe d'ailleurs) et bien anticiper au niveau de la cheville pour avoir une bonne mobilité et une bonne protection sans que ça blesse.
Même principe pour le mollet (la plaque arrière) et là aussi une nouvelle chose à prendre en compte : la plaque arrière passe à l'intérieur de celle de devant et donc elles doivent se superposer assez précisément pour que le système de charnières se fasse correctement (et puis c'est plus joli aussi) ; faire aussi ressortir la bosse de la malléole...

Il ne reste plus qu'à tout assembler. Je rajoute que toutes les lames d'articulation, que ce soit bras, jambes, épaules, ou autres, sont subtilement bombées afin de gagner de l'angle d'articulation sans trop arrondir la courbe de l'articulation. Grosso modo, de profil, ça doit représenter un angle et non un arc de cercle.
Pièce de fouille
Pièce de fouille


Je terminerai simplement par vous parler du poids de tout ça : il faut savoir qu'une armure de combat au Moyen Age et à la Renaissance ne dépassait pas les 25 kilos, donc c'est léger. Pour ma part, je suis à 24 kilos mais il manque éventuellement une cotte de mailles ou plutôt des goussets de mailles (petites parties cousues sur le pourpoint et qui couvrent les points sensibles). Le détail : les gantelets sont à 2 kilos la paire, on peut facilement faire moins. Les bras d'armures sont à 3 kilos la paire, on peut légèrement gagner aussi. La Corrazina est à 7 kilos, ce n'est pas trop mal (entre 6 et 10 kilos au Moyen Age) ; les jambières : 5 kilos le tout, ce n'est pas trop mal. Le casque pèse 7 kilos, c'est énorme ; on peut le réduire de moitié mais c'est un casque acheté et de fabrication industrielle.

Bien sûr, on peu réduire considérablement ce poids en ne dépassant pas 10 dixièmes en épaisseur, mais en trempé pour que ça soit costaud. Petite anecdote : un plastron en XC75 trempé de 1.2mm est à l'épreuve des balles, tout du moins les plombs des arquebuses.

Et voila, j'en finis avec cette explication ! J'espère que ça vous a plu...
Je suis disponible pour de plus amples explications.

Re: Techniques de battage d'armure

MessagePosté: Mer 22 Aoû 2012 10:01
de Fourchaise
Superbe reportage, tout ce planage est un sacré boulot !

Une question : pourquoi ne pas avoir également réalisé le casque toi-même ? Au vu de la qualité du reste, j'imagine que tu arriverais à fabriquer un casque plus qu'honnête.
A moins que ce soit la partie la plus compliquée ? (Je ne m'y connais pas du tout.)

Re: Techniques de battage d'armure

MessagePosté: Mer 22 Aoû 2012 13:01
de percemaille
Merci à toi !
En effet le casque est certainement la partie la plus dure à réaliser, je n'en ai encore jamais fait par manque de temps. Pour faire un casque, il faut découper un rond de 40-50 cm de diamètre et le rétreindre : c'est un gros travail et en plus de ça, il y a un fort risque de percer ou déchirer l'acier à chaud car avec le nombre de chaudes que la feuille va subir, un écart de température est vite arrivé et hop un petit trou cramé... Il faudra bien que j'essaie de toute façon.