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Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Sam 13 Juin 2009 16:20
de AchimW
Ariane a écrit:...La microstructure des aciers et des fontes : Genèse et interprétation de Madeleine Durand-Charre,
Institut National Polytechnique de Grenoble, Septembre 2003, SIRPE éditeur.....

J'ai ce livre chez moi et je connais assez bien Madeleine. J'ai travaillé avec elle un peu sur son nouveau livre pour rectifier quelques informations sur le wootz.

Ariane a écrit:Quelles sont les particularités relatives à la forge du Wootz ?

Il y a plusieurs problèmes avec la forge du wootz. Premièrement, a cause de sa structure cristalline qui s'est développée dans toutes les directions pendant le refroidissement calme au creuset, c'est très dur à forger de n'importe quelle direction.
Au début on a souvent l'impression que ça ne se déforme pas du tout. Le voir c'est toujours mieux, donc un petit exemple d'un bloc de wootz inox de 1,5 kilos sur un pilon Bêché de 75 kilos (!), a voir ici :

C'était environ la 40ème chauffe.

Deuxièmement, le wootz n'aime pas trop d'être contre-forgé. Quand on le fait trop, il y a des fissures.
C'est donc assez difficile de garder la forme et de ne pas finir avec un barreau de 200 mm de large... :D

En plus, forger du wootz nécessite de respecter un plateau de température bien défini.
Il est donc important de forger toujours avec la même lumière dans la même forge pour être capable de juger la bonne température.

Tout ça, ensemble, nous montre le vrai problème : c'est très long, dur pour les articulations et très ennuyeux et fatigant. Aux même temps, il faut garder sa concentration à 100 % pour ne pas surchauffer ou forger trop froid et casser le lingot. Il faut voir le début des petits crevasses et les enlever.

Ariane a écrit:En quoi se différencie-t-il, dans la pratique du coutelier forgeron, d'autres aciers comme par exemple le damas occidental?

Il ne faut jamais oublier qu'il faut être bien plus que forgeron simple pour faire du wootz. Le travail de fusion de l'acier n'était jamais un travail de forgeron, ni de coutelier.
Comparé au damas, le travail de la production du wootz est largement plus complexe et plus longue. Et même après le forgeage, c'est plus difficile. Le wootz nécessite beaucoup plus de soin et d'expérience dans la finition et la révélation.

By the way, le mot "damas occidental" est faux. Au même temps et dans les mêmes endroits de la production du wootz, il y a eu aussi des productions de très belles lames en damas soudé.

alain valette a écrit:......
  • Le "wootz" moderne ou contemporain - si je puis l'appeler ainsi-, est-il disponible pour un coutelier qui souhaiterait l'utiliser ?
  • Dans l'affirmative, quelles sont les dimensions des "morceaux" ?
  • Et autre question béotienne : peut-on reforger sans destructurer le barreau ; y a t il des erreurs a ne pas commettre ?
Dans l'attente de te lire.
Alain

- Au moins pour moi je peux dire que j'en vends de temps en temps, mais pas en grande quantité. Et je n'en fais pas sur demande.
- La taille des barreaux peut être assez importante. J'ai une lame non-finie de shamshir qui est environ 900 mm de long, 35 mm de large et 6,5 mm d'épaisseur. Et j'ai un lingot de 3,5 kilos à forger sur l'établi.
- Bien sûr c'est possible de reforger les barreaux quand on respecte ce que j'ai dit plus haut : température, contre-forgeage, etc...
Les lames que je fais en wootz ne sont pas faites en stock removal mais forgées.

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Sam 13 Juin 2009 18:16
de BDelor
AchimW a écrit:
Ariane a écrit:...La microstructure des aciers et des fontes : Genèse et interprétation de Madeleine Durand-Charre,
Institut National Polytechnique de Grenoble, Septembre 2003, SIRPE éditeur.....

J'ai ce livre chez moi et je connais assez bien Madeleine. J'ai travaillé avec elle un peu sur son nouveau livre pour rectifier quelques informations sur le wootz.


Bonjour Achim,

le nouveau livre de Madeleine Durand-Charre auquel tu fais allusion est-il une nouvelle édition de "La microstructure des aciers et des fontes ", ou s'agit-il d'un livre différent ? Dans ce cas, aurais-tu des informations (date de sortie, sujet, etc...) ?

Amitiés,
Bernard

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Sam 13 Juin 2009 19:09
de AchimW
"Les aciers damassés : Du fer primitif aux aciers modernes" de Madeleine Durand-Charre par exemple chez Amazon.
Quand même étrange qu'il y ait un tel livre si bien fait en France et personne n'est au courant.

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Sam 13 Juin 2009 21:26
de BDelor
AchimW a écrit:"Les aciers damassés : Du fer primitif aux aciers modernes" de Madeleine Durand-Charre par exemple chez Amazon.
Quand même étrange qu'il y ait un tel livre si bien fait en France et personne n'est au courant.


Bien sûr que si ! Mais il n'est pas nouveau ce livre, ça fait déjà un bout de temps qu'il est sorti il me semble... en tout cas, je confirme, c'est une référence.

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Dim 14 Juin 2009 07:36
de Metal Connexion
Bonjour,
les deux ouvrages cités, publiés l'un en 2003, le second en 2007, sont en partie consultables en ligne.
Les aciers damassés: Du fer primitif aux aciers modernes
Par Madeleine Durand-Charre
Publié par Les Presses - Mines Paris, 2007


lien
:arrow: Chapitre 5 : Des épées aux couteaux



Les microstructures des aciers et des formes: Genèse et interprétation
Par Madeleine Durand-Charre
Publié par EDP Sciences Editions, 2003
:arrow: Sur Google Books : lien

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Lun 15 Juin 2009 14:21
de Shimegi
Je m'étais intéressé au Wootz il y a quelques temps, en faisant des recherches sur le damas, et je profite des connaissances de personnes du métier pour les exposer ici. :)

De ce que j'avais pu lire dans différents ouvrages papiers ou internet à l'époque (vous me pardonnerez le fait que je ne sois plus capable de citer les sources), le wootz (qui serait apparu entre 300 et 400 après JC), a été très diffusé dans le monde (antique) entier, et a été retrouvé aussi bien chez des forgerons d'Europe du Nord que d'Afrique noire et du Maghreb, et bien évidemment en Asie d'où il serait apparu.

La qualité de cet acier étant bien supérieure à un acier classique (n'étant pas du métier, je ne sais pas ce que j'entends réellement par "classique") en terme de résistance à la corrosion et à l'effort.
  • L'effort j'imagine bien pourquoi : l'hétérogénéité de l'acier dans une lame permet en toute logique une meilleure absorption de certaines contraintes subies par la lame (a priori en cisaillement et compression) tout en fragilisant l'ensemble (en flexion), du fait d'une cristallisation complexe et non uniforme.
  • La corrosion, j'ignore pourquoi, même si d'après les informations issues de Wikipédia il existe, par exemple, un pilier en fer près de Dehli qui ne serait toujours pas corrodé grâce à une teneur en phosphore très importante.
    Cette particularité d'alliage m'amène également à me poser la question de la définition du wootz.

Est ce qu'il existe différentes classifications, comme il en existe pour l'acier ?

Par ailleurs, je suis assez curieux de savoir quand la connaissance technique est passée de la conscience minerai+processus = résultat à minerai+élément issu du processus (carbone)= résultat.
Par analogie, les bijoutiers antiques savaient faire de la brasure en saupoudrant le métal de poudre de malachite, riche en oxyde de cuivre, ce qui faisait baisser le titre du métal en surface et en même temps sa température de fusion, sans en connaitre forcément les mécanismes.

Je conseille aussi à ceux qui sont intéressés par le sujet à rechercher un documentaire passé il y a assez longtemps sur Arte, qui montre la démarche complète de forge d'un katana, dont l'âme de la lame est issue d'un wootz, enrobé ensuite d'un dos en acier classique pour lui donner une meilleure souplesse. La fonte du minerai (issu d'une montagne spécifique, et qui parait-il possède une composition particulière) dure trois jours et trois nuits complets dans un four à faible aération ce qui favorise la diffusion du carbone dans l'alliage obtenu - dont seul un tiers, le meilleur, sera utilisé pour la forge-.

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Lun 15 Juin 2009 18:40
de AchimW
Jusque là, il n'y a pas de preuve de wootz chez les forgerons d'Europe du Nord... sauf pour les quelques exemples qui sont venus avec le retour des Croisades (et que les forgerons ont vraisemblablement détruits a cause d'un forgeage trop chaud). Et ne me viens pas avec cette histoire des épées Ulfberth....

Idem pour l'Afrique noire et le Maghreb. Je ne connais pas un seul cas d'une telle lame dans un musée ou dans une collection. Par contre, je pense que cela serait plus logique d'en trouver parce que c'était des pays musulmans, aussi.

Et pareil surtout pour les katanas qui sont forgés dans un acier de corroyage. Ce n'est pas des informations concernant le wootz, mais l'âme en acier doux, aussi appelé shigane, est forgée avec du matériel de bas fourneau peu carburé.
L'extérieur en acier dur, kawagane, est le résultat du corroyage du fameux tamahagané, acier de bas fourneau tatara qui contient au début autour de 1,3 % de carbone.
Pour le produire, le four tatara est soufflé avec beaucoup d'air pour trois jours. Le minerai utilisé, qui n'est jamais fondu mais réduit directement avec du charbon de bois, s'appelle satetsu. C'est du magnétite qui se présente sous forme d'un sable noir et qui contient très peu d'impuretés. J'ai des doutes sur le fait que c'est possible de faire du wootz avec du satetsu parce dedans, il n'y a pas les éléments qu'il faut pour le wootz comme le vanadium.

La qualité du wootz n'est pas du tout supérieure à un acier classique. Il s'agit d'une qualité différente, point de vue forme de coupe, c'est tout.
Concernant la résistance à la corrosion, c'est plutôt pire que l'acier corroyé.

En ce qui concerne les piliers, dont celui de Qutb est le plus connu, c'est très logique que cela ne rouille pas trop. Il ne s'agit pas de wootz mais d'acier corroyé, plus précisément des loupes de bas fourneau, très peu carburées. Premièrement ces piliers se trouvent dans des endroits assez secs avec très peu de pluie et d'humidité. Et deuxièmement, il est connu que ces aciers ont une forte tendance à se couvrir avec une couche d'oxyde de fer noire, ce qui évite la rouille "rouge".

Il n'y a pas de classification pour le wootz, sauf celle qui s'oriente vers les dessins visibles.

Le wootz n'est pas non plus produit avec une réduction directe à base de minerai. C'était toujours un travail de récupération, par exemple des morceaux de loupe trop contaminée de scories pour être travaillé dans la forge. Pour savoir plus, consultez la thèse de doctorat de Dr. Ann Feuerbach.

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Mer 17 Juin 2009 01:00
de BDelor
Pour celles et ceux que l'anglais ne rebute pas, une intéressante lecture d'un texte du Prof. S. Ranganathan, Department of Metallurgy, Indian Institute of Science (attention, 90 pages !).
Une réserve toutefois : le texte contient de nombreuses et utiles informations, mais il n'est pas toujours très objectif et exagère parfois un peu le rôle de premier plan qu'il prête à l'Inde dans l'histoire de la métallurgie.
A lire donc d'un œil intéressé mais critique !

Achim, sais-tu s'il est possible d'obtenir le texte de sa thèse auprès d'Ann Feuerbach ?

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Mer 17 Juin 2009 21:37
de AchimW
J'ai la thèse sur CD.

Re: Couteau en Wootz : composition et technique de forge

MessagePosté: Jeu 18 Juin 2009 09:25
de Shimegi
AchimW, j'avais du faire l'amalgame, dans mon esprit le wootz était définissable par un acier carboné de façon hétérogène, mes sources d'informations doivent être trop vulgarisées.
Merci pour ces précisions.