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L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Sam 20 Juin 2009 00:28
de BDelor
Plusieurs personnes m'ont demandé d'ouvrir un sujet sur l'acier damas.
Compte tenu de l'ampleur de la question, des aspects historiques, techniques, esthétiques, etc, il va de soi qu'un seul fil de discussion ne suffira pas. J'ai donc décidé de commencer par le début, à savoir une simple introduction, quelques informations indispensables et un survol général du sujet.

Il s'agit ici d'acier damas, également appelé - à tort ou à raison, nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir - damas occidental, damas de soudure, ou encore pattern welded damascus. Je ne commenterai pas dans l'immédiat les multiples tentatives d'explication du terme "damas", aucune n'étant complètement convaincante ni définitive (référence à la ville de Damas, allusion aux étoffes damassées...).

L'acier damas est une matière constituée de l'assemblage de différentes parties métalliques hétérogènes, plus précisément de différentes nuances d'aciers, alliés ou non alliés, mais aussi parfois de fer , ou encore d'autres métaux comme par exemple le nickel. L'assemblage est effectué par soudure à la forge : les différents éléments sont portés à une température telle qu'ils puissent se souder entre eux, sans matière d'apport, par simple pression ou martelage.

La fabrication par soudure d'aciers composites existe depuis des temps très reculés, ceci pour différentes raisons :
- des raisons techniques : c'est le moyen de "fusionner" entre elles des matières différentes, soit dans l'intention de les homogénéiser, soit encore dans l'intention de d'obtenir une nouvelle matière tirant parti des différentes caractéristiques de chaque composant. Il est par exemple possible, en partant de composants présentant des taux de carbone différents, d'obtenir une répartition équilibrée du taux de carbone. Autre exemple, on pourra chercher à allier les caractéristiques de dureté et au contraire de souplesse de tel et tel acier.
- des raisons esthétiques : au prix d'une opération de "révélation", le "feuilletage" ainsi obtenu pourra être rendu visible, et, en raison des déformations mécaniques qu'on lui aura éventuellement fait subir, présenter des motifs décoratifs très variés.

L'approche la plus simple consiste en l'empilement d'un ensemble de plaques métalliques de même taille et de natures différentes (par exemple : fer / acier / fer /acier ... etc). Les éléments sont d'abord décapés et dégraissés, ce qui facilitera la soudure de forge, puis maintenus ensemble par des brides métalliques ou plus simplement par quelques traits de soudure à l'arc à chaque extrémité. Un trainard peut être soudé en bout afin de permettre une manipulation plus aisée. L'empilement ainsi réalisé est appelé une "trousse"



L'ensemble est déposé dans la forge et mis en température. L'utilisation d'un flux (par exemple de la poudre de borax) permet d'éviter l'oxydation des surfaces en contact, laquelle serait préjudiciable à la soudure.
Lorsque la trousse est à bonne température, elle est martelée afin de procéder à la soudure des éléments. Cette opération est bien entendu la plus délicate, la maîtrise de la température adaptée et du forgeage étant primordiale.



Une fois la soudure effectuée (ce qui nécessite généralement plusieurs chaudes successives), la trousse est étirée puis repliée sur elle-même et soudée à nouveau ce qui permet de multiplier le nombre de couches, un peu à la manière d'une pâte feuilletée. Cette opération sera répétée autant que nécessaire pour obtenir au final le nombre de couches souhaité.



Le lopin obtenu peut être ensuite retravaillé dans l'intention de constituer un damas plus complexe (nous y reviendrons plus tard). Dans l'immédiat, nous dirons qu'il peut également être utilisé tel quel et mis en forme, par exemple pour fabriquer une lame. On pourra pour cela procéder de différentes façons :
- par forgeage, ce qui aura pour effet de déformer l'empilement de couches réalisé,
- par abrasion, ce qui aura pour effet de "couper" dans l'empilement de couches réalisé.
Les deux opérations sont possibles, et apporteront des caractéristiques mécaniques et esthétiques différentes.

Si l'on recherche un effet esthétique, on devra ensuite effectuer une révélation permettant de rendre visibles les couches constitutives du damas. Cette opération intervient en toute fin de réalisation : pour un couteau, par exemple, après mise en forme, émouture, traitements thermiques et polissage.
Les couches du damas peuvent être rendues visibles par révélation chimique : un agent corrosif est utilisé afin d'attaquer le métal. Les couches étant de natures différentes, elles réagissent différemment et il en résulte à la fois des colorations (noir et gradations de gris) et des profondeurs de corrosion variables. Coloration et corrosion rendent visibles les motifs en couche du damas.
Il est également possible de procéder à un polissage très soigneux et très fin qui permettra également de distinguer les différentes couches du damas. Cette manière de faire est particulièrement délicate à maîtriser.

Voici en quelques mots une très brève introduction du sujet. Au delà des questions techniques et des aspects esthétiques, il faut avant tout retenir que faire un damas, c'est créer une nouvelle matière, composite, dont les caractéristiques seront également nouvelles et potentiellement différentes de celles des différents constituants. La capacité des constituants à se combiner ou pas, la nature composite de l'assemblage et sa géométrie, sont autant de facteurs interagissant de manière complexe, ce qui offre un immense champ d'investigation.

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Lun 22 Juin 2009 23:11
de AchimW
Il y a aussi une autre méthode pour produire un damas soudé, mais dans ce cas sans borax pour éviter des inclusions.

Pour commencer, on se fait une petite caisse en acier simple :
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Et on prépare quelques barreaux d'acier propre, dans ce cas décalaminé par sablage avec des grains d'acier trempé :
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On remplit la caisse en alternant les aciers (ici 320 couches de 3 aciers différentes) :
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Au dessus : un couvercle en même acier que la caisse :
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Et un peu de pression pour ne pas avoir de l'air entre les couches.
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Ensuite, il faut fermer la caisse par soudure...
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... et la mettre dans un four bien chauffé.
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Après environ 24 heures de chauffe, on ouvre :
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Et il faut mettre la trousse sur le pilon ou la presse :
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On commence la soudure.
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Après le forgeage,
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on obtient un barreau, voir deux, de damas...
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... avec des couches bien parallèles.
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Et même avec beaucoup de magnification, on ne voit pas de défauts de soudure :
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Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Mar 23 Juin 2009 00:47
de BDelor
Merci Achim pour cette très belle contribution au sujet.
J'ai eu l'occasion de voir un échantillon du damas en question au musée de Solingen, c'est plutôt impressionnant ! (J'en profite au passage pour conseiller absolument la visite du musée à quiconque à l'occasion de passer dans la région).
La fabrication de cette trousse est le seul exemple de réalisation de damas à l'échelle quasi industrielle que je connaisse, sauf bien sûr le damasteel mais dont le procédé n'a strictement rien à voir.

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Mer 15 Juil 2009 19:30
de Cody
Bonjour à tous,
Heureux de trouver une rubrique uniquement consacrée au damas.

A ce sujet une question me tracasse : la révélation !
En effet, si à mon petit niveau, j'arrive de temps en temps à faire des barreaux homogènes genre random (pour la sophistication, on verra plus tard), ensuite, malgré de nombreuses discussions avec des gens qui ont l'air de s'y connaître (Ch. Avakian, D. Vally et tant d'autres) et pour qui les choses sont toutes simples, je rate 8 fois sur 10 la révélation...

Matières utilisées : 90MCV8 et 15N20 : jusque là ça va, non ?

J'ai pourtant bien noté :
  • dégraissage de la lame,
  • bain au perchlorure de fer,
  • neutralisation de l'acide par une base (produit vaisselle),
  • rinçage et même évacuation de l'eau de rinçage par une giclette d'huile WD-40.
Je ne sais par pourquoi, de temps en temps, j'obtiens un résultat qui me fait dire : '' youpi, sacré moi !!!'' et le plus souvent, j'obtiens un truc merdique, où le noir n'est qu'un gris pisseux ou qui après nettoyage a quasiment disparu, mais qui de toutes façon n'a jamais l'éclat de choses magnifiques qui sont présentées ici...

Alors, qui me dira le truc que je n'ai pas compris, ou l'opération que je laisse de coté chaque fois.
SVP, ne me laissez pas mourrir idiot.
Cody

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Mer 15 Juil 2009 23:16
de BDelor
Salut,
ça me fait plaisir de te lire à nouveau !

Alors, pour ce qui est de la révélation :
  • 90MCV8 et 15N20 : le premier sort quasiment noir de la révélation, le second gris très clair. Question contraste, il ne doit pas y avoir le moindre problème.
  • Liquide de révélation : est-ce que tu as bien du perchlorure de fer (couleur rouge - rouille) ? Normalement le motif doit apparaître quasi instantanément et être très contrasté après environ 30 à 60 secondes de trempage. Est-ce que c'est le cas ?
  • Nettoyage après révélation : il faut y aller doucement. Si tu fais un passage à la frotte bien appuyé, effectivement il ne va plus rester que du gris clair sur gris foncé. Comme je l'ai écrit sur un autre post, je conseille de donner un léger coup de papier carrosserie fin, puis re-révélation, etc, etc... jusqu'à obtention du contraste souhaité. Ensuite, un léger coup de frotte pour aviver les brillants et basta.
Les précautions que tu indiques : dégraissage avant révélation, passivation, etc... sont nécessaires mais n'influent pas le contraste de ta révélation.

Dernier point (à tout hasard, ne te fâche pas) : pour avoir un motif il faut qu'il y ait différentes couches visibles. Sur un feuilleté, il faut qu'il y ait eu une abrasion importante, par exemple pour l'émouture, afin de "couper" dans les couches et en rendre visible la succession. A l'extrême limite, sur une lame entièrement mise en forme à la forge, la révélation ne montrera quasiment rien, tu ne verras que la couche extérieure.

Si tu peux montrer des photos de tes révélations, cela aidera peut-être à y voir plus clair.
Amitiés,
Bernard

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Mer 15 Juil 2009 23:40
de djinn black
Salut cody,
tu peux mettre un peu de gun blue dans le perchlorure de fer sinon je peut te donner un recette de forge :
Recette de revelation (cela te donnera une couleur aux nuances feuilles mortes-chocolat) :
  • perchlorure de fer : 14 grammes
  • alcoole a 90 : 14 grammes
  • sublime corrosif : 3.5 grammes
  • acide nitrique : 2 grammes
  • eau distillée : 500 centilitres
Bonne forge.

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Ven 17 Juil 2009 17:57
de Cody
Salut Bernard, salut Djinn Black.

Bernard, ma réponse est oui à toutes tes questions.
Sur la photo, 2 lames que j'ai avancées cet après midi.
  • Polissage,
  • dégraissage,
  • bain 4 minutes dans du perchlo,
  • rinçage,
  • gain dans une solution basique
  • et re rinçage à l'eau claire.
Le résultat est moins merdique que quelque fois ; mais sur les 2 lames, au niveau du ricasso, vers le départ de la soie, on voit nettement que le noir c'est transformé en gris. Cela est encore plus flagrant sur la lame du bas, au départ du tranchant, où une assez grande surface devrait être entièrement noire, alors qu'elle est moitié noire, moitié gris pisseux.
Un fil gris apparait aussi au niveau du tranchant, alors qu'il aurait du être noir, et vers le dos de la lame, une ligne plus claire apparaît aussi.
A ne rien y comprendre.

Je vais faire comme Bernard l'indique : léger polissage au grain de 1200, puis nouveau bain.
La suite au prochain post...
Cody

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Ven 17 Juil 2009 21:37
de AchimW
Ce n'est pas un problème de révélation, mais de traitement thermique.
Le damas non trempé ou fortement revenu ne donne jamais le même contraste que le damas trempé.

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Sam 18 Juil 2009 20:11
de Cody
Bonsoir Achim, merci pour ta réponse.
Ton avis est effectivement très judicieux, car la tache claire apparaît à la jonction ricasso/soie, partie que je ne trempe pas pour ne pas fragiliser le couteau.
Comme je plonge la lame dans l'huile en la tenant en oblique pour donc ne pas tremper le ricasso, il est possible que pour la lame du bas sur la photo, le premier centimètre du tranchant n'ait pas été suffisamment plongé.

Petite question subsidiaire. Tu dis : 'damas fortement revenu. Peux-tu expliquer, c'est quoi fortement ?
Les lames de la photo, ont été mises dans un four (froid) programmé à 190° pendant 120 minutes, immédiatement à la sortie de l'huile qui était à environ 50°, c'est à dire qu'elles étaient tièdes : est-ce bon cela ?
Cody

Re: L'acier damas : introduction au damas de soudure

MessagePosté: Sam 25 Juil 2009 14:21
de BDelor
AchimW a écrit:Il y a aussi une autre méthode pour produire un damas soudé, mais dans ce cas sans borax pour éviter des inclusions.

(...)

Au dessus : un couvercle en même acier que la caisse :
Image




Est-ce que vous avez évalué le risque éventuel de voir le caisson exploser sous la pression des gaz résiduels ?
C'est ce qui m'a toujours retenu de tenter l'expérience (à échelle humaine s'entend ....)
Certains préconisent même de combler l'espace restant dans le caisson avec une matière combustible (papier) de sorte à épuiser l'oxygène restant et être ainsi en atmosphère réductrice. Or, dans mon esprit, combustion + espace clos = explosion...

Des commentaires, des explications ?