Archéologie : le disque en bronze et or de Nebra

[roseleur]

A l'occasion de l'inscription du premier restaurateur d'objets métal sur le forum voici un petit cadeau, un reportage sur une fabuleuse trouvaille :
Découvert en 1999, le disque de Nebra est un objet extraordinaire et la plus ancienne représentation de la voute céleste.

[cuprite]

Bonjour.
Un reportage très intéressant, mais qui soulève de très nombreuses questions et remarques, du début à la fin.
Je prends le temps de mettre en forme et de soupeser ces propos que je vous soumettrai très bientôt.

Cuprite

[cuprite]

Bonjour.
Merci Roseleur pour ce documentaire.

Les quelques réflexions suivantes, ont été inspirées du documentaire ci-dessus. Les questionnements sont de la part de quelqu'un sensibilisé à l'archéologie en général et à l'objet en métal en particulier. Ces précautions écritoires étant prises, sautons dans le sujet.
Avant tout, gardons à l'esprit que cet objet provient du pillage d'un site archéologique, que ceci est un délit puni par la loi dans tous les pays, et qu'il a traversé plusieurs frontières, ce qui est aussi répréhensible. Le pillage d'un site archéologique à la poêle à frire n'est pas seulement l'enrichissement d'un trafiquant, c'est aussi la perte de l'intérêt scientifique des objets exhumés : les seuls objets métalliques financièrement rentables. Or, nous ne sommes plus au XIXe siècle et le seul "bel objet" n'est plus le but de l'archéologie.
Aujourd'hui, un archéologue fait parler un site et celui-ci nous raconte une histoire, tisse ses liens avec l'Histoire et avec nous par conséquent. Un objet ne présente un intérêt que par son contexte, les autres objets qui l'entourent, la disposition de chacun par rapport aux autres, le milieu où il est enfoui, les conditions de son enfouissement, la lecture des traces impalpables à son entour. Or une poêle à frire ne verra que l'objet en métal et le pilleur détruira tout ce qui l'entoure pour sortir cette pièce. Encore faut-il que cette pièce soit en métal noble pour être gardée et revendue.

Imaginons une société relativement complexe, avec sa langue, sa culture, ses lois, ses arts, ses métiers, ses échanges... Elle vient à disparaître et il ne reste sur place que les éléments matériels qui ne peuvent être déplacés (sépultures ou monuments) ou n’en valent plus la peine (poubelles). Avec le temps, les matériaux périssables vont se dégrader et s’effacer. Ce qui subsiste restera peut-être enfoui à jamais ou sera découvert puis rejeté car non commercialisable ou aboutira enfin entre les mains d’un archéologue.
Si cet élément à la chance de pouvoir être conservé et étudié dans de bonnes conditions, alors cet objet archéologique apportera les quelques informations qu’il contient encore.
Mais quelle proportion de connaissances sur l’ensemble de la société initiale aura disparu à jamais à chaque étape ? Et qu'en reste-t-il enfin ?

Ici, la datation du disque est basée sur les objets associés : des épées. Or le rapprochement de ces objets n'est fondé que sur les dires des pilleurs :x et aucun lien de coexistence n'est attesté scientifiquement entre tous les membres de ce lot d'objets. Il arrive fréquemment sur un site archéologique que des objets proches dans la terre les uns des autres présentent des datations fort différentes. Pour le métal, il n'est pas possible d'obtenir une datation absolue (qui donne une date comme avec le carbone 14 des objets organiques ou la thermoluminescence des céramiques), mais seulement une datation relative (trouvé avec un objet que l'on sait dater de telle période, donc il est de même période). Encore faut-il que ces objets soient scientifiquement associés.
Admettons lui néanmoins une grande antiquité, la corrosion est un facteur assez fiable de son âge vénérable.

La technique de travail du motif, une damasquinure de feuilles d'or sur un disque en alliage cuivreux, est rarement utilisée à l'âge du bronze et est déjà en soi exceptionnelle.
Vous verrez sur les bords du disque une série de petits trous régulièrement espacés, signe que ce disque était associé à "autre chose" cousu sur un textile ou un cuir, cloué sur un bois? Le revers du disque pourrait porter quelques traces de ce support, conservées dans les produits de corrosion du cuivre.
Remonter au minerai d'origine d'un métal peut-être particulièrement ardu : vous avez tous l'expérience de recyclage de métaux inutilisés, dans notre société de consommation, alors imaginez ce qu'il devait en être lorsque le plus petit morceau métallique était un bien précieux et difficile à fabriquer. Le recyclage était pratiqué assez systématiquement, preuve en est les "dépôts" d'objet cassés ou usés, probables stocks de bronziers de cette période. S'il a été possible de retrouver ici l'origine du minerai, c'est encore une fois un coup de chance inespéré.

Nous sommes donc devant un objet qui est vraisemblablement de l'âge du bronze, unique et exceptionnel, tant par ce qu'il est, que par ce qu'il représente, à un moment où l'écriture n'est pas attestée.
Mais à quoi pouvait-il bien servir : symbole de la puissance d'un astronome, outil pour connaître un moment particulier de l'année, manuel d'instruction pour les apprentis ?
Et comment a-t-il été enfoui : dans une sépulture, dans un dépôt de fondeur, dans un bâtiment, avec d'autres objets ou seul...?

Nous n'aurons jamais aucune certitude sur cela. Mais un tel objet est un lien direct avec nos anciens, et un coin de voile levé sur leurs sciences de l'observation et leurs techniques de travail.

Merci de votre patience pour arriver jusque là.
Cuprite

[roseleur]

Je suis entièrement d'accord avec toi sur les poêles à frire (détecteurs de métaux).
Et grand merci pour ces précisions sur la démarche archéologique ; la position des objets enfouis est effectivement un élément d'importance capitale.
Un autre élément d'importance à souligner sur ce forum est la datation, qui est difficile et qui dépend fortement du contexte.