Kard en acier au creuset de van Uuyis, couteau traditionnel perse en wootz

[van Uuyis]

Bonjour à tous,

Lorsque j’ai commencé à vouloir faire mes propres couteaux, je me suis vite rendu compte qu’il n’était pas évident d’être original : tout avait déjà été fait, et de quelle manière ! Plutôt que de me résoudre à suivre l’air du temps, sans réelle conviction, je me suis intéressé aux cultures armurières anciennes. Après la tradition japonaise, univers dont je suis loin d’avoir fait le tour, j’aborde l’Orient, et l’univers du "wootz", par la Perse avec ce Kard :

Couteau intégral en acier au creuset à base d’acier de bas-fourneau
Longueur totale 330mm, poids 215g
Lame : L : 230mm, l : 25mm, e : 6mm
Trempe : flux d’air et brouillard d’eau

J’imagine que je n’en ai pas assez dit. Si c’est le cas, je répondrai volontiers à vos questions.
Cordialement,
van Uuyis

[BDelor]

Bonjour,

j'avais vu ce kard sur ton site il y a quelques jours, et je ne te cache pas que j'espérais bien que tu viendrais le présenter ici, car c'est une pièce exceptionnelle. Sur ce forum réservé aux questions techniques, les congratulations ne sont pas trop de mise, mais là cela mérite vraiment d'être souligné et salué !

J'ai en effet quelques questions techniques, j'espère qu'elles ne seront pas indiscrètes :

• le motif de ton wootz est remarquablement proche de celui que l'on peut voir sur les armes blanches orientales anciennes. Vous êtes quelques uns à faire du wootz de nos jours, mais le motif reste généralement plus fin, sensiblement différent de celui des lames anciennes, ce qui n'est pas le cas ici. As-tu une idée précise de ce qui t'as conduit à ce résultat ? Un choix particulier de composition de l'acier ? Le fait de partir d'un acier artisanal de bas fourneau, ce qui n'est généralement pas le cas ? La manière de le travailler ensuite ?
• la gravure est très belle. Je ne parviens pas à distinguer s'il s'agit d'une gravure au burin ou à l'eau forte...
• si ce n'est pas indiscret, comment as-tu monté le manche ? Le couteau est-il intégral d'une pièce (lame,mitres, plate-semelle), ou y a-t-il des pièces rapportées, mitres et/ou cache joint ?

Encore bravo, c'est la pièce "moderne" la plus proche des armes anciennes, dans l'esprit et dans la facture, qu'il m'ait été donné de voir jusqu'ici. Je sais que c'est le sens que tu donnes à ton travail, et ce n'est pas en vain !

[van Uuyis]

Bonsoir,
Merci pour l'accueil, je vais tâcher de répondre dans l'ordre.

• Ce qui a motivé mes recherches sur le "wootz", c'est effectivement de tenter de retrouver les différents aspects que pouvaient avoir les anciens wootz. J'ai opté pour une composition de base : acier de bas-fourneau maison, charbon de bois et traces de vanadium, Cr, Mn, etc, sous forme alliée. Je ne l'ai pas faite varier car la qualité des aciers fondus obtenus était correcte ( trempabilité, élasticité... ). En revanche, c'est en travaillant sur la durée de la phase de recuit/décarburation à 1100°et sur la température de forge que je suis parvenu à diminuer la densité et augmenter la taille et la longueur des motifs... mais ils sont encore loin d'atteindre la complexité des plus beaux anciens. Il me reste encore deux axes de recherche : la température de forge avec le nombre de cycles de chauffes et la forme des lingots.
• Pour les gravures, j'utilise les deux techniques : eau forte pour poser le dessin, burin pneumatique, eau forte pour descendre les fonds.
• C'est bien un intégral, soie, noix et lame forgées dans le même lingot étiré.

[BDelor]

Merci de ta réponse, c'est très intéressant.

Qu'est-ce qui te fait penser que la forme du lingot puisse jouer un rôle ? Il me semble que les lingots anciens que l'on a pu mettre à jour ont tous la même forme. A-t-on trace d'une autre manière de procéder ?
Pour le nombre de cycles et la température de forge, effectivement il y a sans doute matière à expérimenter. Est-ce que tu travailles au gaz ou au charbon ?

Dernière question : au sujet de la gravure, t'es-tu déjà essayé à l'une ou l'autre des techniques de koftgari ?

[van Uuyis]

Je ne travaille plus qu'au gaz et au charbon de bois faute de pouvoir approvisionner du vrai charbon de forge de façon régulière.

La documentation dont on dispose fait état de différents sites de production de "wootz" avec leurs spécificités, dont la forme de leurs lingots. Or, si on admet que c'est en forgeant qu'on fait naître et croître des ségrégations au sein du lingot, alors, on peut imaginer que les différences de travail pour amener ces diverses formes au plat final vont engendrer des motifs différents; mais ça reste à vérifier.

Koftgari : oui, mais je bute sur l'approvisionnement des bons alliages de fils( ductilité)...et sur le temps !

[casse-ferraille]

Salut,
je te félicite : c'est une belle réalisation.
Pour du charbon de forge de qualité, tu peux en trouver à Carpentras chez Ferrenc Fer. Tu peux demander Olivier Boni de ma part (Jean-Luc Soubeyras - Couleurs de forge), je lui en prends 8 tonnes par an.
Pour le wootz, je travaille avec Thierry Chevron ou plutôt je l'assiste dans ses réalisations mais il semble effectivement que suivant la forme de départ si on prend un boulet entier ou coupé en deux, les dessins vont différer.
Encore bravo, j'aimerai l'avoir en main à l'occasion.
Amitiés.
Jean-Luc

[van Uuyis]

Pour ceux que ça intéresse, une évolution du "grain" dans un lingot en cours de forge :

Bon week-end.
van Uuyis

[BDelor]

Merci, c'est très intéressant.
Est-ce que tu pourrais indiquer grosso modo à combien de chaudes correspond chaque photo ?
Les dessins que l'on voit apparaître sur la 3ème photo sont-ils naturels ou correspondent-ils à une action de ta part pour obtenir des motifs "Kirk Narbudan" ?
Et pour les 3 marques très nettes (s'agit-il de poinçonnage ?) sur cette même photo ?

[van Uuyis]

A la louche : une trentaine de chaudes pour la première photo, 12 de plus pour la deuxième, puis, environ 80 et 120 pour les deux dernières.
Effectivement, je tente de"rythmer" le grain en utilisant, alternativement, des poinçons arrondis, sphériques et cylindriques. Mais , malgré la ductilité qu'atteint l'acier à partir d'une cinquantaine de chaudes, il reste difficile de faire changer l'orientation générale des filaments... je n'ai pas dit mon dernier mot.
van Uuyis

[BDelor]

Est-ce que tu étires au marteau ou au pilon ?
Pour créer des motifs, peut-être que l'enlèvement de matière donnerait des résultats plus marqués. Cela semble à priori une pratique moderne (à coup de meuleuse), mais rien n'interdit de penser que cela ait pu se pratiquer anciennement, soit par abrasion manuelle, soit en pratiquant des entailles à chaud avec un burin.