Utilisation des outils d'enclume : principes théoriques et démonstrations en vidéo

[forgeferron]

Ce sujet à vocation technique traitant des outils d'enclume est destiné principalement aux débutants se posant des questions sur l'utilité de ces outils, et désirant mieux comprendre leur fonctionnement et leur utilisation lors de la forge, mais également à toute personne intéressée un tant soit peu par des outils que nous autres, forgerons-couteliers, utilisons au quotidien pour réaliser nos multiples créations.
J'ajoute que je ne suis pas professionnel (et ne prétends pas l'être), mais aspire seulement à aider à ma façon ceux qui m'ont aidé (et continuent à le faire !) en traitant ce sujet sur ces outils qui me tiennent à cœur de par leur utilité.

Principes théoriques :

L'enclume reste, avec la forge proprement dite, l'outil de forge le plus emblématique de tous, qui sert de support pour former manuellement le métal (forger), que ce soit à chaud ou à froid, et se décline sous de nombreuses formes (ou types), et de nombreux usages selon les métiers (enclume de bijoutier, de cordonnier,de cloutier, de maréchal ferrant - type anglaise, ou maréchale -, de forgeron - type française à deux bigornes -, de coutelier, bigorne...).

Dans le cas présent, les enclumes utilisées pour la forge sont munies dans de nombreux cas (néanmoins, des exceptions ou modèles spécifiques n'y sont pas pourvues) de divers trous, de forme carrée et ronde.
Ces dits trous sont destinés à plusieurs usages, dont les principaux sont de maintenir par emboîtement un outil dit "d'enclume" pour le trou carré, et de permettre à un poinçon ou burin quelconque de ressortir après avoir traversé une pièce métallique à percer de part-en-part sans heurter la table de l'enclume.

Les outils d'enclume, aussi appelés ''troisièmes mains" ou "accessoires d'enclume" sont des outils permettant au forgeron d'effectuer différentes opérations comme tranchage, dégorgement... sans utiliser d'outils de forge emmanchés, et donc de travailler de façon indépendante vis-à-vis d'un frappeur.

Un outil d'enclume se décompose de façon générale de deux parties distinctes : une partie supérieure active, dont le rôle est d'agir sur la matière pour obtenir un résultat escompté par le forgeron, et une partie inférieure constituée d'une "queue", ou tenon, c'est-à-dire une tige de section carrée qui peut être droite ou courbée de façon à s'emboîter par gravité et épouser les contours du trou carré de l'enclume. Son rôle est uniquement d'éviter à l'outil de se déplacer sur la table de l'enclume de façon intempestive, ce qui nuirait à la qualité du travail (ainsi que l'humeur !) du forgeron.

Les outils d'enclume sont généralement suspendus au moyen de lanières de cuir ou de "u" d'acier cloués sur le billot, ce qui facilite leur saisie, ou rangés à la manière des pinces de forge contre un support métallique fixé à un mur.

L'utilisation de tels outils est on ne peut plus simple : il suffit de prendre l'outil désiré, puis de glisser la queue de celui-ci dans le trou carré de l'enclume, avant de porter une pièce de métal à travailler sur le sommet de la partie active, et de frapper directement cette pièce au marteau pour provoquer une action de l'outil de bas en haut sur celle-ci.

Principes pratiques :

Les outils d'enclume se déclinent sous une multitude de formes et de noms pour une infinité d'usages, et diverses vidéos permettront de mieux visualiser la théorie de leur utilisation par la pratique d'un forgeron.

Le tranchet d'enclume :

Sans doute le plus courant et le plus utile des outils d'enclume...
Le tranchet d'enclume sert, comme son nom le suggère, à trancher le métal par l'action d'une partie active en forme de coin, dont le fil entaille la pièce à couper, qui est "poussée" par le marteau, jusqu'à ce qu'elle soit séparée en deux morceaux. Dans le cas présent, la forme trapue de l'outil et l'angle ouvert du tranchant le destinent à un travail à chaud.

Il est à noter qu'il est fortement déconseillé de frapper la pièce jusqu'à une découpe complète, mais préférable de l'entailler suffisamment avant d'effectuer la séparation par pliage, afin d'éviter absolument le contact de la panne du marteau avec le fil, ce qui provoquerait une entaille sur l'un, et un écrasement (donc un ré-affutage) pour l'autre.

Il est également conseillé de ne pas hésiter à tremper régulièrement l'outil dans un liquide froid au cours du travail pour éviter un phénomène de détrempe, ce qui nuirait à l'efficacité de l'outil, la majorité étant réalisés en acier coulé ou forgé, puis trempé.

Le tranchet d'enclume à froid :

Ce tranchet est analogue au précédent, mais possède un angle d'affutage fermé, ce qui le destine à un travail à froid.

Le cône d'enclume :

Le cône d'enclume est une sorte de réplique miniature et verticale de la bigorne ronde de l'enclume. La partie supérieure est donc constituée d'un cône de hauteur et de diamètre variable, dont l'usage est, comme ici, de réaliser le cintrage d'une volute à chaud, mais aussi de réaliser l'enroulement et le calibrage d'un anneau (à la manière d'un triboulet de bijouterie), mais également à amorcer une courbure, voire de permettre d'agrandir le diamètre d'un trou percé précédemment.

L'étampe d'enclume dite "col de cygne" :

Cet outil nommé étampe doit son nom à la courbe délicate de sa partie supérieure qui est non sans évoquer celle relativement gracieuse du cou d'un cygne...
Son usage est de permettre au forgeron d'amorcer le début d'enroulement d'une volute, près la forge de la pointe ou du noyau de celle-ci, d'une façon tout aussi efficace qu'avec l'utilisation de l’arête de la table de l'enclume.

La cloutière d'enclume :

Ce tas particulier fait office de cloutière, c'est-à-dire qu'il sert à maintenir la tige du clou sans la déformer pendant que la tête est formée. Le tas est donc creux en son milieu pour permettre le passage de la tige. Il remplace ainsi la cloutière à main "classique" de façon avantageuse, mais ne peut l'occulter du fait qu'il ne permet qu'une grosseur de tige limitée. Un outil d'enclume fort semblable mais non-creux et servant à ne pas déformer les têtes de rivets lors du rivetage d'une pince ou autre existe : la contre-bouterolle.

Voilà. Je souhaite remercier les lecteurs et surtout inviter ceux qui le désirent à venir compléter par des photos ou mieux, des vidéos, ce sujet par d'autres outils d'enclume comme dégorgeoir, contre-étampe, casse-fer...
Merci !
Pierre.

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La contre-étampe :

La contre-étampe (ici en cours de forgeage) est un outil d'enclume dont la partie supérieure se compose d'un tas de forme carrée muni d'une gouttière de section généralement ronde, qui sert à mettre en forme une pièce de métal à chaud, pour en modifier la section ou le diamètre d'origine.

Son usage peut être également de régulariser la surface d'une pièce venant d'être soudée à la forge.

Il est à noter que cet outil est souvent utilisé par le forgeron soit seul sur l'enclume, ou en binôme avec un autre outil semblable, mais emmanché, qui est frappé au marteau à devant : l'étampe.

Le griffon d'enclume :

Le griffon d'enclume est un outil très prisé en ferronnerie de par les multiples possibilités de formes qu'il permet d'obtenir. De plus, cet outil d'enclume est considéré comme polyvalent, car pouvant passer aisément du trou carré de l'enclume aux mâchoires d'un étau de forge.

La partie supérieure est constituée de deux tiges parallèles qui peuvent forgées dans la masse , ou plus souvent soudées à l'arc sur un rectangle d'acier faisant office de support de la queue de l'outil, mais également de butée contre la table de l'enclume.

Il sert à réaliser, tout comme le cône d'enclume, des cintrages de profilés pour obtenir des enroulement, à permettre au forgeron de réaliser les volutes complexes, ou plus simplement à des opérations comme détordre à chaud un ressort...

Pour l'utiliser, il suffit de chauffer sélectivement la section de métal à cintrer, et de la placer entre les deux tiges avant de lui imprimer un mouvement de torsion dont le résultat est l'apparition progressive d'une courbure sur la pièce. Une griffe de ferronnerie permet d'aider et compléter son action.

Le dégorgeoir d'enclume :

Le dégorgeoir d'enclume est un outil de forme similaire au tranchet d'enclume, qui présente donc une partie supérieure en forme de coin, mais dont le tranchant est volontairement arrondi pour entamer le métal chauffé dans la forge sans le trancher.

Cet outil d'enclume est employé pour les opérations de dégorgeage, qui consiste à créer une gorge au sein du métal, et son action peut-être rendue plus efficace avec l'emploi d'un dégorgeoir à main (comme dans la vidéo).

Relativement fréquent, il peut s'employer seul pour le dégorgeage de petites sections, mais est d'un usage plus pratique pour le dégorgeage de fortes sections lorsqu'il est employé par le forgeron avec son homologue emmanché.

[Metal Connexion]

Merci Pierre pour ce sujet passionnant !

Pour identifier les outils de forge, on peut aussi se référer au recueil de planches sur les sciences, les arts libéraux, et les arts mécaniques (Livre 8 Par Denis Diderot). Pour faciliter sa lecture, vous trouverez les légendes des planches LI, LII et LIII ci-desous :



PLANCHE LI. - Des outils de forge.

• Fig. 1. Goupillon. A, la tige. B, la boucle. C, les deux, branches. D, l'attache.
• 2. & 3. Tisonniers, l'un pointu et l'autre crochu. A,A, les tiges. BB, les boucles. CC, la pointe ou le crochet.
• 4. Enclume. A, le billot. B, la surface de l'enclume. C, la bigorne ronde. D, le trou. ЕЕ, les empattements.
• 5. Bigorne. A, la tige. B, la bigorne ronde. С, la bigorne quarrée. D, l'embase. E, le billot. F, son cercle.
• 6. Tasseau. A, la tête. B, la pointe.
• 7. Faux rouleau. A, le faux rouleau. B, son billot.
• 8. et 9. Ciseaux, l'un à chaud et l'autre à froid. AA, le taillant. BB, la tête.
• 10. Tranchet. A, le taillant. B, l'épaulement. C, la queue.
• 11. Tasseau d'enclume. A, le tasseau. B, la queue.
• 12. Griffe d'enclume. A, la griffe. B, la queue.
• 13. Étampe. A, l'étampe. BС, les talons. DE, les brides. F, la clavette.
• 14. Petite étampe. A, l'étampe. BC, les talons.
• 15. Étampe à main ou dégorgeoir. A, le dégorgeoir. B, la tête.
• 16. Marteau à devant.
• 17. Autre marteau à devant à traverse.
• 18. Marteau à main. fig. 19. marteau à bigornet fig. 20. marteau à tête ronde. AA, les têtes. BB, les pances. CC, les yeux. DD, les manches.
• 21. et 22. L'une une tranche et l'autre une langue de carpe. AA, les taillans. BB, les têtes. CC, les manches.
• 23. & 24. L'une un poinçon plat, et l'autre un poinçon rond. AA, les poinçons. BU, les têtes, CG, les manches.
  25. & 26. L'une une chasse quarrée, l'autre une chasse à biseau. AA, les quarrés à biseau. BB, les têtes. СC, les manches.

PLANCHE LII. - Outils de Forge.

• Fig. 1. Pelle à charbon.
• 2. Pié de forge.
• 3. Compas d'épaisseur. A, la tête. BB, les jambes.
• 4. Compas droit de forge. A, la tête. BB, les jambes.
• 5. Dégorgeoir simple. AA, les branches. B, le ressort.
• 6. Dégorgeoir à graine. AA, les branches B, le ressort.
• 7. Chambrière à potence que l'on place près de la forge pour soutenir le fer lorsqu'il chauffe. A, le pivot. B, la branche saillante. С, le lien. D, le tourniquet.
• 8. Chambrière ambulante. A, le tourniquet. B, le trepié.
• 9. Chandelier ambulant de forge. A, le chandelier. B, le pié.
• 10 & 11. Perçoirs.
• 12. Grand chandelier de forge. A, le chandelier. B, le crochet.
• 13. Grande chambrière ou servante à crémaillère. A, le pivot. B, la branche saillante. С, le lien. D, la crémaillère. E, la servante. F, le cliquet. G, l'anneau.
• 14. Hart portant un ciseau. A, la hart. B, le ciseau.
• 15. Chandelier glissant d'établi. A, la tige. B, la potence. CC, les branches. D, la bobèche.
• 16. Crochet d'étampe pour retenir les plates-bandes dans les étampes. A, le crochet. B, la tige. C, la pointe.
• 17. Gros ravaloir pour ravaler les anneaux de clé ou autres choses semblables.
• 18. Petit ravaloir.
• 19, 20. 21. & 22. Différentes étampes de boutons, vases de fiches.
• 23 et 24. Dessus d'étampes de vases, et boutons.
• 25, 26. 27. et 28. Étampes à plates-bandes et à moulures. AA, les talons.

PLANCHE LIII. - Outils de Forges d'établi.

• Fig. 27. 28. et 19. Poinçons à main , le premier quarré, le second plat, le troisième rond. A A, les poinçons. BB, les têtes.
• 30. 31. 32. 33.-34. et 35. Mandrins quarrés, plats, ronds, ovales, triangles, et à pans.
• 36.. Perçoire.
• 37. A, une griffe. B, un tourne-à-gauche.
• 38. 39. 40. et 41. Tenailles, les premières droites, les secondes croches, les troisiemes à bouton, et les dernières à rouleaux. A A, les mors. BB, les branches.
• 42. Ratelier de forge. AA, la plate-bande. BB, les pointes.
• 43. Etaux. AB, les tiges. C, les mors. D, les yeux. E, le pié. F, les jumelles. G, le ressort. H, la boîte. I, la tête de la vis. K, la manivelle. L, l'établi. M, la bride double. N, la bride simple. О, les clavettes. P, leurs vis.
• 44. Petite bigorne d'établi. A, la tige. B, la bigorne ronde. C, la bigorne quarrée. D, l'emballe. E, la pointe.
• 45. Tasseau d'établi. A, la tête. B, la pointe.
• 46. Etampe d'établi. A, la tête. B, la queue.
• 47. Quarreau,
• 48. demi-quarreau. AA, les quarreaux. В B, les manches.
• 49. 50. 51. 52. et 53. Limes de Forez ou d'Allemagne en paquet, la première quarrelette, la seconde demi-ronde, la troisième quarrée ou à potence, la quatrième tierspoint, et la cinquième queue de rat. AA, les limes. BB, les manches.
• 54. 55. 56. 57. et 58. Limes d'Allemagne à queues semblables aux précédentes. A A, les limes. BB, les queues.

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Merci à toi, Aymeric pour ce document ancien fort intéressant !

Le tas d'enclume carré :

Le tas d'enclume "classique" adopte la même forme qu'une contre-étampe, mais dépourvue de gouttière centrale. La partie supérieure est donc un tas de forme carrée dont les bords sont pourvus d'arêtes arrondies pour ne pas marquer le métal, contrairement aux arêtes de la table de l'enclume.
Son usage est de permettre une régularisation des surfaces de pièces forgées, en agissant de façon semblable à une chasse carrée (visible à 0:40), et servant de support au planage à l'aide de la chasse à parer (1:00).

Cette vidéo présente également un autre outil d'enclume : Le cône d'enclume transversal (visible à 8:00).

Cet autre outil d'enclume présente une forme identique au cône d'enclume évoqué précédemment, mais contrairement à celui-ci qui est vertical, la queue forme un angle à 90 ° qui porte la partie supérieure conique perpendiculaire au bord de la table de l'enclume, ce qui facilite les opérations à effectuer dessus.
L'usage de cet outil d'enclume est analogue au cône vertical, mais sa position permet également de réaliser des opérations de forge comme le calibrage, et de faciliter l'accès à des zones délicates ou peu accessibles sur une pièce métallique.

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Le dégorgeoir d'angle :

Ce dégorgeoir d'enclume diffère du précédent par le fait qu'il ne présente pas une partie supérieure en forme de coin arrondi, mais une pente dont la principale arête permet de faire un dégorgement à 90° plus propre qu'un dégorgement classique. Cet outil peut se révéler fort efficace en coutellerie pour dégorger un départ de soie. Néanmoins, pour la réalisation d'une soie devant être centrée dans la largeur (pour une lame de dague par exemple), cet outil d'enclume devra s'utiliser avec un autre outil de forme semblable, mais emmanché et tenu par le forgeron, le frappeur activant celui-ci.

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La contre-bouterolle :

La contre-bouterolle est un outil d'enclume permettant de riveter sans que la première tête du rivet ne soit complètement écrasée contre la table de l'enclume.

Il se compose d'une partie active en forme de petit tas de section ronde ou carrée, dont la surface est munie d'une forme creuse en demi-sphère dont le but est d'épouser la forme de la tête du rivet, dont l'autre extrémité est matée grossièrement au marteau, ou de façon plus harmonieuse à l'aide d'une bouterolle classique, soit en forme de burin, soit emmanchée.

Cet outil d'enclume est utilisé dans toutes les opérations de rivetage à chaud, que ce soit des assemblages de pièces de ferronnerie entre elles, comme ici, ou tout simplement le rivetage des deux parties d'une pince de forge.