Bonjour à tous,
La finition du wakizashi présenté dans la section voisine prenant du temps, j’ai voulu raconter sa naissance. Cette dernière a été une première expérience mémorable de la forge que je vais essayer de retranscrire ici.
J’ai effectué ce stage en 2012 chez Michaël Sabatier.
Partie 1 : obtenir du fer métal par réduction
Un minerai d’hématite riche en fer et à la composition connue était compris dans le prix du stage, mais voulant faire la fabrication de A à Z, je me suis mis en tête d’aller en trouver par moi-même. Après un week-end infructueux (trouver du minerai quand on est novice autant en géologie qu’en minéralogie est hasardeux) et suite à des recherches minutieuses sur internet, j’ai réussi à trouver mon bonheur en Normandie. Le lieu a d’ailleurs un nom évocateur – la brèche au diable - ainsi qu’une couleur rouge caractéristique en vue aérienne…
D’après les recherches que j’ai pu faire, il s’agissait d’un mélange sidérite/hématite.
Arrivé au stage proprement dit, nous étions deux, un ami et moi avec Michaël. Nous avons commencé par faire griller ces pierres. Cela permet de les fragiliser d’une part et d’autre part d’amorcer des réactions chimiques (élimination de certains éléments indésirables comme du soufre, début de réduction des oxydes de fer…). Ces pierres qui étaient amagnétiques vont devenir légèrement magnétiques grâce à cette chauffe. Cela a d’ailleurs permis de s’assurer que je n’avais pas ramassé de vulgaires cailloux !
Après les avoir mises dans un simple feu de bois pendant quelques heures, on jette ensuite les pierres dans des bassines d’eau ce qui les fait éclater avec le choc thermique. Autant de travail de casse qu’on n’aura pas à faire à la main par la suite.
De fait, il faut ensuite réduire ce minerai en « poudre » : nous avons visé entre 0,5 et 2 mm environ grâce à un tamis de cette taille (tout cela avec un marteau dans un vieux bas de caisse de tracteur, et de bons bouchons d’oreille (ou un baladeur, c’est selon). Sans machine dédiée à cette tâche, cela a pris 2 jours à deux pour faire environ 28 Kg de poudre.
A priori, plus la poudre est fine et plus les échanges gazeux sont nombreux grâce à la surface de contact augmentée. Mais suite à des observations de Michaël, il en a profité pour nous faire tester une technique d’agglomération de la poudre de minerai. L’observation est la suivante : lorsqu’on verse la poudre en haut de la cheminée, les gaz chauds qui s’en dégagent ont tendance à faire s’envoler et perdre la portion la plus légère. Nous avons donc fait une bouillie de riz mixée qui mélangée au minerai a donné des petits blocs de « brownie ».
A coté de cela, il faut préparer le four de réduction. Dans un mélange de techniques traditionnelles et modernes, on utilise d’un coté des briques réfractaires du brico du coin et de l’autre le mélange pour la maçonnerie. On y met argile, sable poudre/esquilles de charbon et cendres dans des proportions environ 40-30-15-15. Le but étant d’obtenir un « ciment » qui se tient et va résister aux températures du four (jusqu’à 1300°).
On maçonne un four avec une cheminée d’environ 45 cm de diamètre au fond et 30 cm à la sortie pour une hauteur de 1m60 ; sans oublier d’aménager une entrée vers le bas pour la tuyère en céramique qui sera reliée à une petite turbine de forge.
On aménage également une zone destructible sur le devant, ce sera la « porte » par laquelle on dégagera la loupe de fer en fin de réduction. Cette zone servira également pour les percées qui laisseront s’écouler le laitier.
Pour rappel, le principe de réduction du fer dans un bas fourneau est le suivant : les oxydes de fer naturellement présents dans le minerai doivent passer par une réaction d’oxydo-réduction pour éliminer l’oxygène de l’oxyde selon la formule simplifiée :
FexOx + CO -> Fe + CO2
Il va donc falloir produire quantité de monoxyde de carbone pour réduire le minerai de fer.
Pour cela, il faut du charbon de bois, beaucoup ; mais surtout avec un calibre donné. Une taille constante est importante pour ne pas faire de « paquets » hétérogènes qui risquent de se bloquer dans la cheminée. La descente du mélange charbon/minerai doit être régulière pour réduire efficacement.
On taille donc une douzaine de sacs de charbon de bois en restant proche d’une forme cubique d’environ 4 cm de coté et en enlevant les morceaux trop petits.
Les préparations terminées, on allume le fond du four un peu en avance et on met la ventilation : on va attendre qu’il préchauffe et cuise ses parois. Ensuite on le remplit jusqu’en haut de la cheminée et on attend que la combustion démarre pour de bon sur toute la hauteur. Attention, pendant cette période d’allumage, il y a un très fort dégagement de monoxyde de carbone à l’extérieur du four. Nous étions équipés d’un détecteur de taux de CO et sommes de toute façon sortis du local en attendant la formation de la « torche » qui indique que la combustion a bien démarré.
Une fois le four démarré, on commence à charger une part de charbon pour une part de « brownie » environ 500g de chaque, toutes les ~5 minutes (ce qui correspond à la vitesse de « consommation » du four en fait).
Au bout d’une heure ou deux, on commence à percer des trous au niveau de la porte pour laisser s’écouler le laitier accumulé dans le four. Il s’agit du résidu de la roche en fusion qui n’est pas du métal. A la température du four, il est complètement liquide et s’écoule assez facilement. Il faut le drainer régulièrement pour éviter qu’il s’incorpore dans la loupe et/ou empêche sa croissance. Dans le cas contraire, on obtiendrait beaucoup plus de « mousse », mélange de métal et de laitier, pas très utilisable.
Après 6 heures de réduction, nous avons passé la totalité du minerai. On laisse encore brûler un moment, le temps que le charbon descende au niveau du cœur du four, et là on « ouvre ». C’est un peu l’accouchement par césarienne d’un élémentaire de feu comme diraient des amateurs de fantasy. La chaleur est limite insoutenable, on se croirait au cœur d’un petit volcan.
Mais la satisfaction est au rendez-vous quand on arrive à extirper une boule incandescente et rayonnante et surtout *lourde*.
Pour ne pas perdre toute cette chaleur accumulée, on la passe sans tarder au marteau-pilon pour dégager le métal des scories.
Cela permet de former les plaquettes de métal qui nous serviront pour les trousses de forge. Après estimation des taux de carbone à l'étincelle, nous rangeons les produits de la réduction. Bilan, un beau bébé un peu hétérogène comme le témoigne la photo de faire-part :
Voilà pour ma vision de cette expérience. J'espère ne pas avoir fait trop de raccourcis ou dit de choses erronées. Quoi qu'il en soit, les questions seront les bienvenues s'il y en a.
La suite prochainement !