Re: Souder de la fonte : technique et conseils
de kurillos » Jeu 25 Nov 2010 10:33
Bonjour Jimi,
Bonjour tout le monde,
Plusieurs choses utiles avant de démarrer ton chantier.
La fonte est un matériau extrêmement ingrat. Les compositions chimiques et les épaisseurs produites sont tellement variables que le résultat sans enquête approfondie est TRES aléatoire. Une enquête approfondie mène à un résultat aléatoire si l'épaisseur à souder est importante (plus de 20 mm).
Pour ton cas, il faut cerner plusieurs choses.
C'est d'abord une fonte "usagée" : elle a été exposée à la corrosion atmosphérique et peut être à la corrosion par aération différentielle si celle-ci a été partiellement enterrée dans de la vase ou de la terre par exemple. As-tu des traces de corrosion ou d'usure du mécanisme qui laisserait présager un état irréversible ?
Avant de décider d'une réparation, il faut déjà s'assurer d'avoir tout les morceaux et de bien regarder si les morceaux brisés concernent à un moment ou à un autre une portée usinée. Car rapporter des éléments par soudage va complètement fausser la géométrie, le réusinage peut s'avérer extrêmement compliqué (forme de la pièce vis-à-vis de la machine outil, heures de d'usinages souvent ruineuses, etc...).
Indice : la fonte blanche est insoudable et très difficile à usiner, surtout employée pour ses qualités de moulage et sa résistance à l'usure et à l'abrasion. Si tu as des usinages (taraudages, lamages, alésages, dressages) c'est bon signe point de vue "soudabilité métallurgique", cela laisse entrevoir une fonte assez malléable.
En revanche, si les ouvertures recevant les organes mobiles sont "bruts de fonderie" avec un aspect similaire à la pièce de fonderie...
Dilemme :
- Si la pièce en fonte est usinée, elle est a priori soudable. Mais elle peut fissurer en cours ou après soudage, et dans tout les cas, il faudra réusiner, c'est très coûteux.
- Si la pièce en fonte n'est pas usinée, cela présage d'une pièce en fonte blanche, parfaitement insoudable.
Indice 2 : la structure supérieure sembla avoir été rivetée à chaud. C'est l'ancêtre foireux de la soudure, synonyme que cette réalisation serait des années 1850 - 1910, où la métallurgie était à ses débuts en terme de qualité des matières produits (fer puddlé et fontes chargées en impuretés, aciers pas terribles avec risque d'effervescence : un test de bouillonnement avec un chalumeau oxyacétylénique est très utile).
D'un autre côté, la zone brossée donne quand même un aspect très blanc, mais il faudrait casser un petit échantillon (marteau, massette, masse) pour en avoir le cœur net, mais après le test au chalumeau OA, plus facile à faire et moins destructif.
Les photos que tu nous fais parvenir ne sont pas très claires quant à l'échelle, on distingue mal les composants et la philosophie de conception de la vanne (système à "guillotine", avec une crémaillère verticale et un pignon droit, as-tu une idée du taux de fuite, comment se fait le barrage du flux d'eau ?)
Je te conseille de fixer par écrit préalable à tout travaux les modalités de ton intervention et les limites d'action, ainsi que les critères d'acceptation de ton travail et des responsabilités en cas de mauvaises conséquences pour l'une ou l'autre partie. Mieux vaut rédiger beaucoup et faire accepter le message "ça craint, votre histoire..." que de s'embarquer dans une galère sans nom et à destination connue : les enfers, restant à savoir lesquels.
Avant de commencer à souder ou à chanfreiner, je te recommande vivement de faire la cotation complète du système, pour en réaliser une copie en acier mécano-soudé au cas où.
Au niveau des brisures : il est recommandé de chanfreiner en X, le moins possible en V.
Tu apporteras pour une épaisseur "y" deux fois plus de métal d'apport en V qu'en X.
La soudure en V exerce des déformations permanentes après soudage, nommées "retrait", qui est important comparé au chanfrein en X qui contrebalance (mais jamais parfaitement) les déformations liées à la soudure.
Il vaut mieux avoir des chanfreins très étroits (30°) voire des chanfreins en "tulipes" ou en "double-tulipes", ouvert(s) de 15° seulement (vive le disque à meuler !)...
Le métal d'apport pour souder de la fonte est une base Nickel. Extrêmement onéreux, je te recommande de traiter en direct avec un fabricant d'électrodes réputé (Selectarc, Castolin-Eutectic, SAF-FRO, Oerlikon, Lincoln Electric, ESAB) car les prix sont dissuasifs, les distributeurs de métaux d'apports prennent une marge sur un produit déjà très onéreux.
Il faut réaliser des cordons étroits, en passes tirées, jamais balayées, avec le moins d'intensité possible, en courant continu impérativement, avec polarité + à l'électrode.
Si l'épaisseur est importante, il te faudra plusieurs calibres d'électrodes (2.0 / 2.4 /3.2, éventuellement 4.0 mm, éventuellement 1.6 mm par endroits pour la pénétration).
Attention, certaines boîtes d'électrodes ont des minimums : éviter les boîtes de 5 électrodes à 50€HT, mais éviter aussi les boîtes de 150. Toujours négocier avec le fabricant, les réparations sur fontes coûtent très cher.
Il faut toujours voir une réparation sur une fonte comme une punition honteuse. S'il existe une possibilité de récréer la ou les pièces en acier, par tout moyen (chaudronnerie, forge, fonderie), préférer cette porte de sortie que la soudure qui apporte toujours des problèmes. Cette issue est à considérer comme la dernière chance, la seule voie de sortie.
"Moins vous souderez, mieux vous vous porterez". Et c'est un ingé soudeur qui en parle !
Je préfère un boulon qu'une soudure, qui coûte et qui recrée des problèmes nombreux, dont une partie énoncée plus haut : déformations permanentes.
Je confirme qu'une chauffe homogène vers 250°C est impérative avant de commencer à souder. Mais cette préchauffe dépend de l'épaisseur, parfois il faut monter à 450 voire 500°C. Pour ce faire, je recommande l'emploi d'une sonde à thermocouple de type K ou l'emploi de stylos fondants à une température précise, ce sont des Tempilsticks.
La descente en température après soudage doit être la plus lente possible, je confirme les dires de Baptor et de Roland, la vermiculite ou le sable très chaud sont d'excellents choix. A condition de n'avoir pas déjà fissuré ou micro-fissuré une fois l'électrode enrobée consommée.
Il ne faut jamais souder sur une fissure, elle est un signal d'alarme très utile qui signale une incompatibilité métallurgique et/ou opératoire, mais il convient d'éliminer toute la fissuration avant de recommencer le soudage.
Mais je puis te confirmer également que :
- Comme son nom l'indique la fonte "fond" : son haut taux de carbone a pour caractéristique d'abaisser la température de fusion (vers 1100 jusqu'à 1350°C, contre 1530°C pour les aciers courants), et d'être "blindée" d'eutectiques, qui ont pour caractéristique d'avoir le plus bas point de fusion et d'être extrêmement durs et fragiles. En conséquences, si ton talon de chanfrein est trop faible, lorsque l'arc va s'allumer tu risques d'avoir de la fonte liquide dans tes chaussures. Il faut donc un talon épais et s'assurer d'avoir pénétré correctement celui-ci sans l'effondrer. Généralement, on emploie une bande en cuivre épais (3 à 8 mm) et forgé à façon ou une bande segmentée, en céramique technique de forme appropriée à la configuration d'assemblage, dotée de nervures adhésives, que l'on plaque sur l'envers du chanfrein.
On appelle ça une latte support, car le bain de fusion est très difficile à maîtriser, même pour un bon soudeur.
- Les variations d'épaisseurs lors du moulage induisent une structure grossière avec présence de macro-défauts : inclusions de sable de moulage, fissures, retassures, soufflures, porosités "caverneuses", qui peuvent se révéler lors de la taille des chanfreins ou lors d'une casse. Mais elles induisent en outre des tensions mécaniques rémanentes dans le métal. Par ailleurs, la présence de soufre et de phosphore en grandes quantités peut provoquer des fissures, mêmes avec des électrodes au nickel adaptées.
Ne pas oublier qu'après soudage, la soudure peut exercer des tensions dans le métal de base et le (re)faire fissurer si celui-ci est trop chargé en impuretés.
- La seule manière de caractériser une fonte, c'est d'envoyer un échantillon à un laboratoire d'essai muni d'un spectromètre de masse à fluorescence X pour notamment caractériser (par incandescence) le taux de C, S, P, mais aussi Mn et Si, une analyse macrographique est également utile; l'échantillon doit provenir du cœur de la pièce, qui concentre toutes les impuretés, appelées "ségrégation majeure". On peut complémenter avec un échantillon pris en surface. Prix : 500 €HT/l'essai de caractérisation environ, et du délai à prévoir.
Un autre essai plus accessible est la mesure de la température de fusion (avec un thermocouple), qui permet au moins de classer la fonte dans les grandes lignes. Mais on ne peut pas déterminer la soudabilité sur cette seule base, sauf si on détermine une fonte blanche -qui est absolument insoudable- elle peut fondre sur des intervalles trop grands pour être qualifiée précisément, mais celle-ci fondra aux alentours de 1200°C, température facilement atteignable avec un chalumeau oxyacétylénique.
En revanche, la fonte blanche ne supporte pas les chocs ni les déformations à froid ni à chaud -même légères- et une cassure "fraîche" a une couleur blanche.
Les fontes et le soudage, c'est de la roulette russe. A parfois 200 €HT/kg d'électrodes le galop d'essai.
- Le seul matériau compatible avec les "sautes d'humeurs" de la fonte (je parle de cette tendance lourde à la fissuration post-soudage), c'est le Nickel et ses alliages. Le nickel et les bases nickel (Inconels, Incoloy, Hastelloy, Monels, autres marques commerciales...) ont pour particularité étonnante d'être pâteux une fois liquide, même à haute température. Pour pouvoir souder une fonte "soudable" -donc déjà, certainement pas une fonte blanche-, la proportion de nickel varie de 30 à 80% en masse, on lui joint souvent du fer, parfois du manganèse. Dans tout les cas, tu vas devoir te débrouiller pour mélanger de la purée de nickel à de la fonte liquide comme de l'eau. Donc, surtout pas de jour entre tes chanfreins.
L'ajout de chrome peut dans certains cas s'adjoindre au rôle du carbone >>> fissuration ++++.
- Avec des considérations pareilles, moins on soude sur de la fonte (surface concernée et volume de métal déposé, donc directement fonction de l'ouverture des chanfreins) moins on prend de risques de fissuration au refroidissement. Il faut donc utiliser des chanfreins étroits, il faut manœuvrer la pièce en cours de soudage pour souder à chaque fois, dès que c'est possible en soudage à plat. Souder en montant revient à saloper le bain de fusion en fond de chanfrein (incrustations de laitier, à retirer avec meules carottes >>> bon courage) et/ou risque de se repeindre les chaussures avec de la fonte liquide.
Je te laisse entrevoir la joyeuseté de manœuvrer un corps de vanne préchauffé à (minimum) 250°C entre passes de soudage.
Je connais des sociétés industrielles établies depuis longtemps qui ont fait faillite suite à des ruptures de machines-outils stratégiques fabriquées en fonte, dont la réparation a échoué.
Un conseil : désengage-toi de cette affaire avant qu'elle ne vire au noir bitume. Même avec des précautions opératoires et des connaissances pointues même bien mises en œuvre, la fonte est un matériau imprévisible et horriblement ingrat.
Je pense que le donneur d'ordre sera très heureux de faire tourner l'économie en te commandant une/des nouvelles vannes en acier mécano-soudé, avec valeurs de résiliences garanties à -20°C (soudure à l'électrode enrobée basique) et de 20 mm d'épais s'il le faut sur certaines zones sensibles de la commande à crémaillère, et de prévoir l'ensemble pour résister aux contraintes environnementales (hivers froids et eau possiblement gelée, donc créations de plans inclinés dans le boîtier pour que l'eau ne puisse pas stagner, et que le lavage à haute pression soit possible pour chasser les sédiments organiques).
Pour rappel, une fonte grise "moderne", donc désulfurisée/déphosphorisée a une limite élastique de 200 à 275 MPa, l'acier de construction standard tient au minimum 235 MPa "ignoble", jusqu'à 355 MPa pour les grades "nobles".
Car, j'allais l'oublier, je ne pense pas que cette vanne là (qui fait 30 mm d'épais à l'oeil) puisse être brisée par des marmailles munis de gadins. Pour briser une fonte, il y a dans notre cas la pression exercée par de l'eau gelée ou l'usage d'une masse, qui laisse toujours des traces. Le gel a démoli des montagnes dont le Massif Central. Alors une vanne en fonte infâme...
Les aciers comme les fontes (mais surtout les fontes) deviennent très cassant à froid, même à 0°C ou à -20°C on observe des chutes de caractéristiques très sensibles.
J'ai vu un pied de perceuse-colonne brisé (du Made in China d'il y a 10 ans), se voir soudé (épaisseur 10 à 15 mm) avec des électrodes spéciales pour fontes, la fissure suivait le solidus des passes avec un délai de 20 secondes !
Elle était large de 3 mm et suivait un cheminement "en foudre", synonyme d'une fissuration à chaud : trop d'énergie de soudage et/ou fonte trop infâme, malgré la préchauffe et la vermiculite.
Voilà ce que je peux te conseiller. C'est du terrain miné ton histoire.
Bien à toi.