Plusieurs personnes m'ont demandé d'ouvrir un sujet sur l'acier damas.
Compte tenu de l'ampleur de la question, des aspects historiques, techniques, esthétiques, etc, il va de soi qu'un seul fil de discussion ne suffira pas. J'ai donc décidé de commencer par le début, à savoir une simple introduction, quelques informations indispensables et un survol général du sujet.
Il s'agit ici d'acier damas, également appelé - à tort ou à raison, nous aurons sans doute l'occasion d'y revenir - damas occidental, damas de soudure, ou encore pattern welded damascus. Je ne commenterai pas dans l'immédiat les multiples tentatives d'explication du terme "damas", aucune n'étant complètement convaincante ni définitive (référence à la ville de Damas, allusion aux étoffes damassées...).
L'acier damas est une matière constituée de l'assemblage de différentes parties métalliques hétérogènes, plus précisément de différentes nuances d'aciers, alliés ou non alliés, mais aussi parfois de fer , ou encore d'autres métaux comme par exemple le nickel. L'assemblage est effectué par soudure à la forge : les différents éléments sont portés à une température telle qu'ils puissent se souder entre eux, sans matière d'apport, par simple pression ou martelage.
La fabrication par soudure d'aciers composites existe depuis des temps très reculés, ceci pour différentes raisons :
- des raisons techniques : c'est le moyen de "fusionner" entre elles des matières différentes, soit dans l'intention de les homogénéiser, soit encore dans l'intention de d'obtenir une nouvelle matière tirant parti des différentes caractéristiques de chaque composant. Il est par exemple possible, en partant de composants présentant des taux de carbone différents, d'obtenir une répartition équilibrée du taux de carbone. Autre exemple, on pourra chercher à allier les caractéristiques de dureté et au contraire de souplesse de tel et tel acier.
- des raisons esthétiques : au prix d'une opération de "révélation", le "feuilletage" ainsi obtenu pourra être rendu visible, et, en raison des déformations mécaniques qu'on lui aura éventuellement fait subir, présenter des motifs décoratifs très variés.
L'approche la plus simple consiste en l'empilement d'un ensemble de plaques métalliques de même taille et de natures différentes (par exemple : fer / acier / fer /acier ... etc). Les éléments sont d'abord décapés et dégraissés, ce qui facilitera la soudure de forge, puis maintenus ensemble par des brides métalliques ou plus simplement par quelques traits de soudure à l'arc à chaque extrémité. Un trainard peut être soudé en bout afin de permettre une manipulation plus aisée. L'empilement ainsi réalisé est appelé une "trousse"
L'ensemble est déposé dans la forge et mis en température. L'utilisation d'un flux (par exemple de la poudre de borax) permet d'éviter l'oxydation des surfaces en contact, laquelle serait préjudiciable à la soudure.
Lorsque la trousse est à bonne température, elle est martelée afin de procéder à la soudure des éléments. Cette opération est bien entendu la plus délicate, la maîtrise de la température adaptée et du forgeage étant primordiale.
Une fois la soudure effectuée (ce qui nécessite généralement plusieurs chaudes successives), la trousse est étirée puis repliée sur elle-même et soudée à nouveau ce qui permet de multiplier le nombre de couches, un peu à la manière d'une pâte feuilletée. Cette opération sera répétée autant que nécessaire pour obtenir au final le nombre de couches souhaité.
Le lopin obtenu peut être ensuite retravaillé dans l'intention de constituer un damas plus complexe (nous y reviendrons plus tard). Dans l'immédiat, nous dirons qu'il peut également être utilisé tel quel et mis en forme, par exemple pour fabriquer une lame. On pourra pour cela procéder de différentes façons :
- par forgeage, ce qui aura pour effet de déformer l'empilement de couches réalisé,
- par abrasion, ce qui aura pour effet de "couper" dans l'empilement de couches réalisé.
Les deux opérations sont possibles, et apporteront des caractéristiques mécaniques et esthétiques différentes.
Si l'on recherche un effet esthétique, on devra ensuite effectuer une révélation permettant de rendre visibles les couches constitutives du damas. Cette opération intervient en toute fin de réalisation : pour un couteau, par exemple, après mise en forme, émouture, traitements thermiques et polissage.
Les couches du damas peuvent être rendues visibles par révélation chimique : un agent corrosif est utilisé afin d'attaquer le métal. Les couches étant de natures différentes, elles réagissent différemment et il en résulte à la fois des colorations (noir et gradations de gris) et des profondeurs de corrosion variables. Coloration et corrosion rendent visibles les motifs en couche du damas.
Il est également possible de procéder à un polissage très soigneux et très fin qui permettra également de distinguer les différentes couches du damas. Cette manière de faire est particulièrement délicate à maîtriser.
Voici en quelques mots une très brève introduction du sujet. Au delà des questions techniques et des aspects esthétiques, il faut avant tout retenir que faire un damas, c'est créer une nouvelle matière, composite, dont les caractéristiques seront également nouvelles et potentiellement différentes de celles des différents constituants. La capacité des constituants à se combiner ou pas, la nature composite de l'assemblage et sa géométrie, sont autant de facteurs interagissant de manière complexe, ce qui offre un immense champ d'investigation.