Re: Comment souder du fer puddlé ?
de kurillos » Mar 6 Juil 2010 14:45
Bonjour tout le monde,
J'ai quelques indications pour vous et deux remarques :
Commençons par les indications :
Le fer puddlé est de structure très hétérogène : en plus d'y trouver des soufflures, il y a également des inclusions d'oxydes dans le métal, qui sont la conséquence du brassage à haute température de la fonte en train de se convertir.
A ces macro-défauts, on y ajoute des irrégularités très importantes dans la taille des grains : s'ils sont assez petits en surface, dont résistants au chocs, ils sont en revanche très gros à cœur. La résilience (capacité de résister à un choc, notamment à de basses températures où l'acier devient de plus en plus fragile) du fer puddlé est connue pour être désastreuse.
Cette matière a également un autre défaut, ce sont les ségrégations majeures : comme ces aciers refroidissent d'abord en surface, les composés à bas point de fusion se solidifient en dernier (logique !) mais sont "chassés" vers le cœur de la matière par des composés qui eux ont un point de fusion plus élevée. A cœur, on trouve tout un tas de saletés : soufre, phosphore, autre impuretés affreuses.
Histoire de boucler le tout, cette ferraille (le qualificatif est vraiment exact ici) a comme énorme défaut d'abord un fort taux de carbone, suivi d'une teneur en soufre et en phosphore très importantes, mais aussi de contenir... de l'oxygène dissous !
Un tel "acier" a la particularité d'être effervescent. La meilleure façon de s'en rendre compte, c'est de liquéfier un barreau de fer puddlé avec une torche TiG, sous argon pur. Le résultat est que le bain de fusion s'agite comme une aspirine dans un verre d'eau gazeuse. Ça bouillonne, ces bulles de gaz sont de l'oxygène qui était dissous lors de l'élaboration du fer puddlé.
Aujourd'hui les aciers et fers purs sont produits par l'addition d'oxygène, pour retirer le phosphore, puis de manganèse pour désulfurer, puis on ajoute du silicium pour retirer l'oxygène dissous, puis de l'aluminium pour affiner et du calcium pour arrondir les inclusions de sulfures de manganèse, de manière à obtenir un acier très résistant aux chocs. Le fer pur est aujourd'hui fondu puis affiné sous atmosphère d'argon, il sert à produire des barreaux de fer purs pour les forgerons, mais aussi des noyaux magnétiques pour les fabrications électriques et électroniques, et des composants pour les instruments de mesure.
Les fameuses précautions pour le soudage de ce genre de dangereuse matière, c'est de souder les barreaux à l'oxyacétylène.
Comme la flamme oxyacétylénique génère de l'hydrogène sur le front de flamme primaire (à l'extrémité du dard très lumineux), en plus de chauffer le fer puddlé jusqu'à la fusion, l'hydrogène ainsi généré peut nettoyer les impuretés contenues : les oxydes, les nitrures et surtout l'oxygène dissous, qui se combine avec l'hydrogène pour former de la vapeur d'eau. Il faut en outre impérativement employer une baguette de métal d'apport contenant peu de carbone (de l'acier doux en fait), du silicium pour réagir avec l'oxygène car l'hydrogène ne peut pas réagir avec autant de pollution, et surtout du manganèse afin de stabiliser la soudure.
Le fer puddlé a la réputation de bien résister à la corrosion atmosphérique. Il réagit comme le Wootz indien en formant en surface une couche stable de phosphate de fer, parce qu'il contient beaucoup trop de phosphore que ce qui est normalement toléré pour un acier moderne.
Mes remarques :
La méthodologie du test de cette soudure :
En ce qui concerne l'essai de pliage après soudure, celui-ci démontre le très peu de ductilité de cet acier. Ici, le barreau s'est plié sous les coups de marteaux, mais trop loin de la soudure et de son influence. Ce test n'a pas vérifié la tenue de la soudure, malgré le fait que l'extrémité libre du barreau soudé se prenne des coups de marteaux. Mais cette déchirure en biseaux est révélatrice d'un état interne très instable, susceptible, très peu résistant et au comportement imprévisible.
Pour tester une soudure, il faut bloquer la pièce dans un étau au niveau de la jonction entre la zone soudée et le métal de base, et surtout meuler puis polir le barreau de manière à avoir une section régulière proche d'un cm² avant de tester le barreau. C'est la seule condition pour un test "équitable" permettant de déterminer "à l'œil" la résistance au choc d'un barreau.
On peut aussi en réaliser un deuxième et plier l'éprouvette d'une section de 1 cm² en U (cintrage à 180°) à l'aide d'un vérin hydraulique de cintreuse par exemple.
La zone la plus fragile d'une soudure, c'est soit la zone de jonction entre la soudure et le métal de base, soit dans la zone du métal de base qui a été modifié du fait de la chauffe (dite Zone Affectée Thermiquement). On mesure en laboratoire les valeurs de rupture sous choc comprise de la zone de fusion jusqu'à 5 mm dans le métal de base.
Si quelqu'un veut m'envoyer un échantillon, je me ferais un plaisir d'en liquéfier un barreau et de réaliser au passage une coupe macrographique avec un acide, pour révéler la macrostructure ; pour publier les photos dans ce sujet.
Par rapport à la restauration de cet ensemble :
Aussi, mon conseil pour ces réalisations en fer forgé présentant des fissures : il est inutile et dangereux de les réparer, et par n'importe quel moyen. Ce qui est réparé là engendrera de nouvelles fissures à côté ou plus loin (lors de la réinstallation par exemple), l'élévation thermique favorisant la croissance des fissures, même lorsque on cherche à les colmater par brasure.
La brasure a besoin d'une très grande propreté pour donner de la tenue. Elle coûte cher et ne fonctionne pas quand on a de tels défauts internes.
Pour moi, si un sinistre survient à l'occasion de la rupture d'un tel ensemble, les assureurs vont à coup sûr faire une expertise par un laboratoire indépendant, dont le résultat permettra indéniablement à l'assurance de ne pas verser d'argent, en jouant sur la vétusté et la dangerosité avérée d'un tel ensemble : au vu des couches de peinture successives et du caractère très visible des fissures, le résident ne peut ignorer le danger sous-jacent. Voilà leur argumentaire-massue.
Mieux vaut donc recréer à l'identique un nouvel ensemble, fait dans du vrai fer pur ou dans de l'acier doux, matériaux sûrs à l'usage, et faire recycler ce genre de ferraille. C'est toujours dommage que d'avoir à détruire des réalisations anciennes mais je trouve dommage que de se blesser ou de se tuer pour une réalisation âgée et pleine de défauts, faite avec les techniques de l'époque.
Bien à vous.