LE DIABLE SERRURIER
"Au temps où l'on construisait Notre-Dame de Paris, Biscornet, apprenti serrurier, voulait devenir maître dans son art. Pour cela, il fallait accomplir un chef-d’œuvre, et la corporation des serruriers décida que Biscornet devrait ferrer les portes de la cathédrale.
Il ne s'agissait pas d'un mince travail, Biscornet en réva longtemps, imagina des plans de ferrures superbes, à la fois fines et fortes, aux courbes gracieuses, etc. Mais une chose était d'imaginer, une autre de réaliser.
Biscornet s'en aperçut ; chaque nuit passée à sa forge le décourageait, car le fer refusait d'obéir comme il l'aurait voulu, de se plier à sa volonté. Bref, l'apprenti serrurier n'arrivait pas à réaliser le chef-d’œuvre espéré.
Une nuit, devant le feu allumé et le fer rougi, il eut un geste de désespoir. Il repoussa le fer, jeta le marteau et cria n'importe quoi :
- Au diable !
Aussitôt, le feu se souleva, comme agité par la tempête. Et le diable parut, souriant :
- Bien le bonjour ! Biscornet, tu m'appelles, me voila. Je suis prêt à t'aider, tu en connais le prix : juste ton âme !
- Pas question, démon ! Et d'abord, je ne t'ai pas appelé.
- Si, tu as crié : « Au diable ! »
- Pas du tout !
- Mais si !
- Tu n'as rien compris !
Aucun des deux ne voulut en démordre ; ils se fâchèrent, et en vinrent aux mains, tant et si bien que l'apprenti serrurier finit par s'évanouir au cours de la bataille...
Lorsque Biscornet s'éveilla le matin, il vit sur l'enclume des ferrures faites, achevées, fines et fortes comme il les avait rêvées, une merveille, un pur chef-d’œuvre...
Et juste à cet instant arrièrent des maîtres serruriers venus lui rendre visite, qui s'extasièrent, levant les bras au ciel.
Paralysé par les compliments, les félicitations, Biscornet ne sut que dire. Ce travail était-il son oeuvre ou celle du démon ? Le démon, il ne l'avait pas appelé, et ne lui avait en aucune façon promis son âme. Donc, le travail était bien le sien, réalisé la nuit sans qu'il ne s'en rende compte.
Biscornet fut nommé maître serrurier. Un grand malaise le prit pourtant lorsqu'on fixa ses pentures sur les portes, et que celles-ci refusèrent de tourner dans les gonds du mur.
Seule fonctionnait la porte principale, celle où passait le Saint-Sacrement. Celle-ci, le diable n'avait pas osé y toucher. Les autres, sur les côtés, servant aux fidèles, restaient obstinément closes. Le diable pensait ainsi décourager les chrétiens d'aller prier.
Biscornet se sentit coupable... et innocent en même temps . Ce n'était pas de sa faute, pensait-il avec obstination.
On dut changer les ferrures et il ne retrouva jamais sa joie de vivre.
Lorsqu'il mourut, là, selon les conteurs les avis divergent, il alla en enfer, disent certains, pour n'avoir pas invoqué le Seigneur, mais le Malin. Tandis que d'autres conteurs prétendent que son ange gardien le sauva à l'ultime seconde, avec l'aide décisive de la Vierge Marie."
Conte bien connu dont la version présente a été trouvée sur le site
http://www.ac-grenoble.fr