Bonjour,
Effectivement, on pourrait croire qu'il y a une fausseté là-dedans, mais j'ai une explication.
Un métal "classique" est soit en déformation plastique, soit en déformation élastique ; le cas du palier entre ces deux domaines se traduit par un "retour" élastique ET un certain allongement irréversible de la matière.
Je peux comprendre que repasser sa lame à l'affûtage puisse briser le fil si celui-ci a trop travaillé ; mais les seuls matériaux capables de reprendre parfaitement leurs formes initiales après contraintes déformantes sont les matériaux dits "à mémoire de forme".
Il y en a plusieurs, la plupart du temps il faut une composition chimique bien particulière pour faire coexister une structure martensitique et une structure austénitique, qui est à la base du phénomène, avec quelques cas très particuliers qui s'additionnent à cet état dual de la matière.
Certains laitons alliés (Cu-Zn-Si notamment) sont réputés à mémoire de forme, il y a aussi le Nickel-Aluminium, l'Or-Cadmium (qui fût le premier découvert en 1930), l'alliage Fer-Platine, l'Indium-Cadmium, le Fer-Nickel mais aussi... certains aciers inoxydables stabilisés au Niobium ou au Titane de la famille des
Dual-phase.
Plus récemment, de nombreuses études ont été faites avec les alliages à mémoire de forme (abrégés AMF, notés
SMA pour
Shape Memory Alloy(s) en Anglais).
Voilà une liste non exhaustive d'alliages :
- 50%Titane-47.5%Nickel-2.5%Fe,
- 49%Nickel-51%Titane,
- 50%Nickel-48%Titane-2%Niobium,
- Nickel-Titane-Cobalt,
- Cuivre-Zinc-Silicium,
- Cuivre-Zinc-Aluminium,
- Cuivre-Zinc-Aluminium-Zirconium,
- Cuivre-Aluminium-Manganèse,
- Cuivre-Aluminium-Zinc-Manganèse-Nickel,
- 14%Cuivre-3%Aluminium-Nickel,
- 18%Fer-8%Manganèse-5%Chrome-5%Nickel-Silicium-,
- Fer-Nickel-Niobium,
- Fer-Nickel-Titane-Cobalt,
- 49.9%Nickel-28.5%Manganèse-21.6%Gallium,
- 48%Nickel-42%Titane-10%Cuivre,
- Indium-Plomb...
- et pleins d'autres encore : presque tout les mois il y'en a des nouveaux !
Il convient de noter que les effets sont très variés et que l'inclusion (volontaire ou non) d'éléments chimiques étrangers peut complètement changer la donne, dans un sens comme dans l'autre. De très nombreuses études ont lieu de manière à comprendre le rôle "d'impuretés". D'une manière générale ces alliages sont des alliages ultrapurs, à impuretés contrôlées, la plupart du temps en ppm (parties par million).
Si je reprends la définition des propriétés d'un AMF sur Wikipédia, on trouve les caractéristiques suivantes :
Les Alliages à Mémoire de Forme (AMF) regroupent un ensemble d'alliages métalliques présentant diverses propriétés :
a écrit: * La superélasticité : l'alliage est capable de se déformer énormément (jusqu'à 10%) de manière réversible sous l'effet d'une contrainte ;
* L'effet mémoire simple sens : l'alliage est capable de retrouver par chauffage sa forme initiale après une déformation mécanique ;
* L'effet mémoire double sens : l'alliage est capable après " éducation " d'avoir deux positions stables, l'une au-dessus d'une température dite critique et l'autre en dessous ;
* L'effet caoutchoutique : l'alliage (sous forme martensitique auto-accommodée) subissant une déformation conserve au relâchement une déformation résiduelle ; si le matériau est à nouveau contraint puis déchargé, cette déformation résiduelle augmente ;
* L'effet amortissant : l'alliage est capable d'amortir des chocs ou d'atténuer des vibrations mécaniques. En effet la super-élasticité ou même simplement l'élasticité de la phase martensitique présentent un phénomène d'Hystérésis qui entraîne une dissipation de l'énergie.
Pour moi, ce rasoir doit intégrer un matériau à mémoire de forme ; la transformation réversible s'effectue sans changement de température (quoiqu'un nettoyage à l'eau froide ou chaude peut suffire...) mais la plupart du temps le retour aux conditions métastables prend du temps.
La question est "Mais pourquoi donc il y aurait un métal à mémoire de forme dans un rasoir ?"
Pour moi, la raison est la suivante :
- Si l'on veut être rasé de près, il faut avoir une arête en "V" qui ne soit pas trop haute pour suivre les contours du visage.
- Si la lame est trop épaisse, un affûtage en "pente douce" ne sert à rien, car l'effort de coupe des poils est trop important, il y a un effet "de traînée" : couper un poil avec une lame épaisse implique de "séparer" celui-ci de son bulbe. Ce qui revient à pouvoir initier le cisaillage (résistance à la pénétration de la lame dans le poil), mais aussi de pouvoir "séparer le poil" pendant que celui-ci est coupé. Avec une lame trop épaisse (vis-à-vis de l'épaisseur du poil à couper en fait), le poil se courbe devant la lame et au mieux on coupe le poil en biseau.
- Si la lame est très fine, l'effort de coupe est réduit, mais l'affûtage va s'user d'autant plus vite que la lame est fine et que le poil est dru. Un poil de barbe est bien plus épais qu'un cheveu : de 0.15 à 0.20 mm, au delà ce sont des soies, comme celles du sanglier !
Et ce genre de fibres kératinique à une très grande résistance à la traction : à diamètre égal avec un fil d'acier standard (soit de 0.04 à 0.1 mm) le cheveu casse à une contrainte bien plus élevée que l'acier, la ténacité est très grande : un cheveu casse avec une traction de 5 à 10 grammes, une tignasse moyenne de 100000 cheveux lâche vers 10 tonnes !
Les filles amatrices de crêpages de chignons et de spéléologie/alpinisme en savent quelque chose...
La perte de l'affûtage doit mettre en évidence (sûrement avec un microscope électronique) que notre lame de rasoir a perdu son fil et que des "poussières" de métal sont parties de la lame, ce qui conduit à faire disparaître le micro-affûtage, la lame ne coupe plus. Wilkinson (et d'autres) se frotte les mains, avec des centaines de milliers de rasoirs jetables.
L'usure est d'autant plus facile que la lame est dure et fragile.
Il me semble (mais c'est pas sûr, à vérifier) que les lames de rasoir du genre "à cassettes jetables" sont Stellitées(TM) avec une couche très fine de cette base Cobalt-Chrome-(parfois Tungstène), pour un revêtement anti-usure.
Finalement, une lame à mémoire de forme ressemble à un "I" avec un affûtage terminal en V, comme n'importe quel autre rasoir "coupe-chou" ou à cassette.
Si la résistance à la coupe est trop importante, l'alliage à mémoire de forme va modifier le profil de la lame pour un "J", sous l'effet de l'avancée du rasoir. Le pouvoir de coupe est certes diminué, mais la matière étant localement superélastique, elle reste là où elle doit être sans se détacher de sa lame-support. L'affûtage persiste !
Au bout d'une certaine durée d'inutilisation, le profil affûté se redresse et on peut à nouveau se servir du rasoir.
Ce qui fait qu'en cas d'épilation intégrale et/ou intensive (ou d'usager très très velu),
c'est peut être plus de 2 rasoirs qu'il faudrait posséder... mais un tel rasoir ne s'use pas, ou beaucoup moins que les autres. Le cuir à rasoir est surtout utile pour brillanter/repolir/réaffûter la lame ...30 heures après.
"(...) In order to get the best daily shave with a straight razor DOVO even suggests an individual even consider having at least two straight razors on hand to fully allow time for the blade edge to rest between shaves for optimal performance."
Ce que je traduis par :
"Dans le but d'atteindre le meilleur rasage journalier avec un rasoir droit, DOVO vous suggère qu'un utilisateur peut posséder
au moins deux rasoirs droits à portée de main, pour permettre à la lame de se reposer suffisamment longtemps entre deux rasages, pour une performance optimale."
Et c'est aussi pour cela qu'il est indiqué de surtout passer le cuir à rasoir (
strop) AVANT le rasage et jamais "juste après" : sinon on inflige une 2ème contrainte à la lame en AMF, et celui-ci va se "discipliner" sous cette deuxième contrainte qui avoisine dans le temps la première initiée par le rasage.
La deuxième contrainte initiée par le cuir à rasoir va conduire soit à l'obtention d'un "U", soit à l'obtention d'un "L", ce qui va briser le fil d'affûtage (la superélasticité étant dépassée on retombe dans le domaine fragile) et provoquer des saignements, en plus de fusiller définitivement le rasoir (90 € minimum au passage).
Juste après le rasage (forme en "J"), il faut du temps pour revenir "lentement" au niveau de la ...première contrainte ! (Soit un profil en "I").
En cas de mauvaise manœuvre, l'état initial en "I" sera donc perdu "à jamais", on aura un "J / L" édenté !
C'est (à mon sens) la conséquence directe de
l'Effet caoutchoutique, tel que décrit plus haut.
Voilà ce que j'en pense.
J'aimerais bien récupérer des données pour savoir s'il serait possible de forger des ensembles en AMFs... et de pouvoir paramétrer l'étendue des possibilités offertes...
Les principaux usages actuels sont surtout en micromécanique, microélectronique, instrumentations de précision et dans les textiles, avec les soutiens-gorges qui reconnaissent leurs maîtresses respectives, même après lavage...
Bien à vous tous.