Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité


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Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede Iron-Frog » Lun 1 Juin 2009 07:29

Bonjour,
le forum présente le travail des modérateurs et on peut y voir un vase doré au mercure.
On entend fréquemment parler de dorure à la feuille d'or, moins souvent de dorure au mercure.

Image

Comment arrive-t-on à un tel résultat ? Peut-on avoir une idée des principales étapes pour réaliser un tel travail ?
Cette technique concerne-t-elle des objets particuliers ?
Merci.
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede roseleur » Lun 1 Juin 2009 11:10

Vaste sujet.
Sur mon site tu trouveras un résumé succint des différentes techniques de dorure sur métal.

La dorure au mercure est une technique très ancienne qui repose sur la propriété du mercure de dissoudre l'or par amalgamation.
Une goutte de mercure déposée sur une surface dorée provoque la formation d'une tâche blanche : ce n'est pas un dépôt, le mercure pénètre en profondeur et seule la chaleur peut faire évaporer le mercure en laissant l'or mat.

La qualité de la dorure au mercure est généralement exceptionnelle et l'épaisseur d'or peut être très importante. Il m'est arrivé d'avoir en main des objets dont l'épaisseur était visible à l'œil nu sur le bord des zones dorées.
Cette technique permet en effet de ne dorer que les parties visibles, l'aspect des dos des pièces est du reste un élément d'expertise. Les "débordements" de la dorure sont caractéristiques :

Ces bronzes d'applique proviennent d'un meuble Louis XVI. A noter : les petits coups de burin pour créer des rugosités semblables à des dents de râpe à bois pour une accroche plus facile sur le ciment de ciseleur

Décapage : Pour réaliser la dorure au mercure, il faut agir sur un métal parfaitement décapé. Les artisans réalisaient cela en utilisant des mélanges d'acides (nitrique, sulfurique, chlorhydrique) : cette opération est très importante.

Voici un atelier de décapage de bronzes du milieu du XIXème. Cette gravure est extraite du manuel de Roseleur.

Amalgame : ensuite une autre opération délicate est la réalisation de l'amalgame proprement dit : l'or est introduit dans le mercure chauffé à 200 degrés dans un creuset, l'amalgame lavé dans une peau de chamois et ensuite appliqué à la surface du métal avec une brosse. Le métal est ensuite chauffé dans un four ou au chalumeau et le mercure se volatilise.
D'où la nocivité du procédé : le mercure sous forme de gaz est un élément particulièrement dangereux.
Pour ceux qui veulent en savoir un peu plus sur l'aspect technique, le manuel de Roseleur, une fois de plus, fournit des renseignements assez précis : lien

Finition : Il faut également savoir qu'une grosse partie du travail réside également dans la finition de la dorure obtenue, celle-ci est parfois grattebossée pour donner un peu de brillance localement et mettre le modelé en valeur.

Le doreur doit également jouer sur la couleur de l'or qui n'est pas toujours celle recherchée : elle reste souvent un peu trop jaune citron... il utilise donc toutes sortes de recettes qui ont pour but :
  • soit de dissoudre les traces d'autres métaux déposés avec l'or en raison du manque de pureté de celui ci,
  • soit de déposer dans les rugosités de la surface de la suie ou des pigments,
  • soit de provoquer l'oxydation du bronze à travers la porosité de la couche d'or.
Les sels et pigments employés pour la mise en couleur des dorures sont entre autres : le nitrate de potassium (salpêtre), le sel, l'alun, l'ocre, la cire, le curcuma, le rocou, le ferrocyanure de potassium...

Brunissage : la dorure au mercure présente la particularité de permettre d'obtenir des contrastes forts entre le mat et le brillant grâce au brunissage.

Certains métaux support conviennent mieux que d'autres ; le plomb contenu dans certains bronzes par exemple compromet par exemple le bon déroulement de l'opération.
L'influence de la dorure sur la composition des alliages employés par les fondeurs est prépondérante. Et ce depuis l'Antiquité.

Cette technique concerne tous les objets anciens avant la découverte et l'exploitation de l'électrolyse (milieu XIXème) avec des qualités variables suivant l'épaisseur d'or déposé.
C'est la technique traditionnelle à cause de laquelle des générations de doreurs sont morts prématurément.
Au point que c' est devenu un problème très important de salubrité publique qui a revêtu une importance de premier plan au début du XIXème avec les débuts de l'industrialisation. Il existe des débats du parlement à ce sujet. Un prix a même été décerné suite à un don de Ravio riche ciseleur. C'est D'Arcet qui l'a remporté avec une conception moderne de hotte aspirante et de réduction maximale des risques suivant les possibilités techniques de l'époque. L'avènement de l'électrolyse a radicalement résolu le problème et a fait totalement disparaitre en Occident, en l'espace d'un siècle l'usage du mercure .Cependant a diminué aussi l'importance de l'usage de la dorure dans le revêtement des objets décoratifs...

A subsisté une technique hybride, la dorure au nitrate ou dorure nitratée : l'objet est doré par électrolyse puis passé au nitrate de mercure qui dépose une couche de mercure, l'objet est ensuite chauffé et fini comme pour la dorure au mercure... ce procédé est un peu moins toxique au vu des quantités de mercure plus faibles utilisées, mais reste quand même dangereux. Il est en voie de disparition totale.

La technique de dorure au mercure est beaucoup plus solide que celle de la dorure à la feuille, la raison en est l'accroche de l'or qui est intimement lié au bronze alors que pour la feuille, il s'agit simplement d'un adhésif (mixtion).
A noter qu'il existe une technique de dorure à la feuille au mercure : l'adhésif est remplacé par le mercure, la surface du bronze est mercurée et la feuille appliquée se "fond" dans le mercure ; la pièce est ensuite chauffée pour éliminer le mercure.

A signaler également que le vermeil est de l'argent massif doré au mercure.
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede roseleur » Lun 1 Juin 2009 21:59

Il y a aussi ce très bon article sur le mercure à Paris :
Le mercure dans Paris. Usages et nuisances (1780-1830)
par André GUILLERME

Cet article est très intéressant, il résonne étrangement avec les contraintes actuelles en matière de sécurité et d'environnement.
Malheureusement, il s'arrête en 1830 juste à la veille du développement fulgurant de l'électrolyse. On y apprend :
  • quelles industries utilisaient le mercure : doreurs, chapeliers, verriers, pharmacie, tabletiers, fabrication de pigments...
  • Les quantités utilisées à l'époque,
  • La suprématie de la dorure française reconnue par les anglais eux même,
  • Des anecdotes parlantes : on trouvait du mercure dans les gouttières à Birmingham,
  • Le procédé technique (avec une erreur),
  • La profession à l'époque vue d'un peu plus près,
et bien d'autres choses , je vous en conseille la lecture : Le mercure dans Paris.
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede cuprite » Mar 2 Juin 2009 09:21

Bonjour.

Est-ce que cette technique de dorure est encore utilisée aujourd'hui, et est-ce qu'une technique contemporaine (nitrate dont tu nous parles) permet d'obtenir les mêmes résultats esthétiques et de résistance à l'usage ?

Les objets archéologiques antiques dorés au mercure présentent encore aujourd'hui, lorsqu'on les restaure, une couche de dorure bien visible ; et des traces de mercure peuvent être décelées par analyse fine (ce qui confirme la méthode).
Merci.
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede roseleur » Mar 2 Juin 2009 21:17

La dorure au mercure n'est pratiquement plus utilisée officiellement de nos jours sauf pour les musées ou des oeuvres de grande importance. Ces restaurations sont effectuées par quelques ateliers artisanaux agréés.
certains la pratiquent à leurs risques et périls...
Elle est infiniment plus solide que toutes les autres dorures car bien plus épaisse.
Elle présente des qualités variables doré, surdoré ou très surdoré d'or moulu sont des termes que l'on retrouve dans les inventaires, en effet plusieurs passages peuvent être réalisés : 3,4, parfois plus. Ceci joue sur l'épaisseur donc sur la résistance.

La dorure électrolytique au nitrate est encore pratiquée par quelques ateliers artisanaux. Il est possible d'arriver à des résultats assez trompeurs d'autant plus qu'on ne cherche pas forcément à obtenir une dorure flambante-neuve.
Si elle est très bien réalisée (épaisseur) la résistance sera bonne. Ici aussi, il peut s'agir de plusieurs passages alternés dans les bains concernés (dorage et mercurage).
Sinon elle ne résistera pas spécialement mieux qu'une dorure électrolytique vernie (et plutôt moins d'ailleurs).

Sais-tu quels sont les plus anciens objets dorés au mercure ?
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede cuprite » Mer 3 Juin 2009 13:16

En Europe occidentale, la dorure au mercure semble utilisée depuis le IIe siècle après J.C., par les Romains ; en Chine, depuis le IIIe siècle avant J.C.
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede roseleur » Dim 14 Juin 2009 18:41

Un petit détail technique sur la dorure au mercure.

La dorure au mercure est souvent laissée mate. Sur cette photo un bel exemple de contraste entre les zones mates et les zones brillantes.


Ces zones mates, prévues pour l'être, sont griffées de traits parallèles pour donner une illusion de grain de peau.
Voici un détail avant et après restauration (La dorure à force d'entretien a pris un aspect trop brillant, un aspect plus mat lui a été redonné.) :


Sur les surfaces lisses, laissées mates et qui ne représentent pas de la peau, le métal est griffé en rond.
D'autres marques concernent le brillant, le procédé de brunissage crée des "vagues" qui donnent une "vibration" au métal ; je mettrai une photo lorsque j'aurais réussi à la faire. (C'est assez délicat.)

Ces marques de finition apportent donc des informations sur la brillance d'origine lorsque on a affaire à un objet qui a été décapé par le passé.
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede roseleur » Dim 5 Juil 2009 16:25

En plus du lien vers l'ouvrage de Roseleur donné plus haut en ce qui concerne la technique de dorure au mercure, l'article sur la dorure au mercure sur bronze du :
Dictionnaire technologique ou nouveau dictionnaire universel des arts et métiers, et de l'économie industrielle et commerciale / par une société de savans et d'artistes - Paris : Thomine et Fortic
version numérique : lien vers l'article sur la dorure
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede belion » Sam 2 Avr 2011 20:54

Bonsoir !
J'ai travaillé pendant 16 ans dans un atelier de dorure parisien, je dorais au mercure et je patinais l'or. La dorure au mercure était toujours grattebossée (chez nous du moins), on faisait le mat (pour les bronzes Empire surtout) en passant la pièce dans un bain de nitrate de mercure pendant 10 mn, en la brossant régulièrement. Apparemment au XIXe, ils enduisaient la pièce d'une sorte de pâte et la chauffaient très fort (voir le Manuel de Roseleur).
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Re: Dorure au mercure d'objet d'art : technique et spécificité

Messagede roseleur » Sam 2 Avr 2011 21:10

C'est ce qu'ils appelaient le "passé au mat" à base de sels, il y avait aussi différentes techniques de patine.
Quels types de techniques de patine utilisiez-vous ?

Pour le mat au nitrate, je suppose que vous faisiez une seconde chauffe ?
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