Sabre yatagan de l'Empire Ottoman : une création de Bernard Delor, coutelier d'art

[kof]

OK, et fais-tu une trempe intégrale dans le perchlorure ou fais-tu par application superficielle avec tampon ou coton ? Dans le deuxième cas, ça limite les risques d'attaque sur d'autres parties.
Et la gravure électrochimique n'aurait-elle pas été plus simple peut-être, et surtout sans risque pour le reste de la lame ?

[BDelor]

Vu la taille de la gravure, ici je vais faire une immersion directe dans le perchorure. Mais pour de tout petits motifs, comme par exemple une signature, je me contente de marquer le vernis avec une pointe à tracer, et de déposer quelques gouttes de perchorure.
Le risque sur le reste de la lame n'est pas bien grand. Avant de faire l'attaque chimique, il faut juste déposer une deuxième couche de vernis pour bien couvrir les petites marques résultant de la manipulation pendant le dessin du motif.

En revanche, ce qui est impératif, c'est de faire ensuite un nettoyage soigné de la gravure et une passivation à la soude.

[BDelor]

Résultat "brut" de la gravure à l'acide (ici avec un temps important d'exposition au mordant pour avoir un effet de gravure marquée en creux plutôt que de tracé façon dessin).

[Roland PINON]

Superbe.
Pour avoir une attaque aussi profonde, tu parles "d'un certain temps", je suppose que c'est comme "le fût du canon" de Fernand Raynaud... c'est à dire combien de minutes ?

PS : Bravo pour la qualité des photos.

[BDelor]

Merci !
"Un certain temps" en fait veut dire ici plusieurs heures, compte tenu du fait que j'utilise une solution de perchorure pas trop concentrée et à température ambiante, ce qui me permet de contrôler en cours de route sans être "débordé" par la rapidité de la réaction.
Sur un acier homogène, je sais à quoi m'en tenir. Sur ce damas dont la composition est inhabituelle pour moi, je pensais que ce serait plus long puisque les aciers ont été choisis pour leur faible réaction à l'attaque chimique, mais je ne savais pas exactement jusqu'à quel point...
Ceci dit, la photo est trompeuse car prise en très gros plan. En fait la gravure n'est pas si profonde qu'il n'y parait.

[kof]

Que dire sinon... splendide !
Fais-tu un petit compte des heures passées sur tes pièces et à chaque étape importante ?

[BDelor]

Oui, enfin pas pour tout, essentiellement pour les points techniques qui sont nouveaux pour moi. Tout le travail d'élaboration du damas, forge de la lame, traitements thermiques, s'est passé sans surprise, comme je m'y attendais (quoique l'on ne soit jamais à l'abri d'un accident, il faut rester modeste...). De même pour la fabrication et la sculpture de l'étui et pour la gravure à l'acide. Ce sont des étapes dont j'ai l'habitude.
En revanche, la sculpture des pièces ornementales pour fabrication à la cire perdue est nouvelle pour moi, et du coup j'ai tracé le temps que j'y ai consacré, beaucoup plus d'ailleurs que je ne l'aurais cru, mais il faut tenir compte aussi du temps d'apprentissage.
La révélation et le polissage du damas m'ont donné plus de fil à retordre que je n'aurais pensé : le challenge était de faire une lame brillante, un damas peu contrasté, mais qui se voit tout de même suffisamment. L'équilibre a été long a trouver.

[roseleur]

On a vu plus haut les cires réalisées en cire de bijouterie verte à sculpter.
Bernard m'a confié une première partie des cires afin que je m'occupe de faire réaliser le moulage et la fonte, et que je réalise l'assemblage.
Voici celle de l'extrémité du fourreau avant moulage :

Des moules de sauvegarde en élastomère ont été réalisés en cas de problème à la fonte :

La fonte a été faite en laiton, voici les fontes brutes :

Ensuite je les ai ébarbées. Les deux moitiés de l'ornement de lame seront rendues à Bernard afin qu'il perfectionne l'ajustage sur la lame, elles me seront ensuite restituées afin que je les soude.

Les deux moitiés de l'extrémité du fourreau peuvent être soudées ; il sera plus facile d'ajuster le bois du fourreau. Pour ce faire, je redresse les deux pièces qui ont légèrement gauchi à la fonte. Elles sont ensuite positionnées et brasées à l'argent.

J'ai ensuite rectifié la soudure pour retrouver une surface bien lisse.

[Invité 1]

Chouette, ça va avoir de la gueule une fois le tout monté.
C'est une brasure à l'argent, je suppose ?
Pourquoi avoir fait aussi épais ?

[BDelor]

Merci Patt. J'en profite pour remercier Alain de m'avoir rejoint sur cette partie de la réalisation.

Comme l'a indiqué Alain ci-dessus, il s'agit d'une brasure à l'argent.

Il y a plusieurs explications à l'épaisseur des pièces :

• le souhait du client qui voulait des ornements "massifs" (la proposition de les réaliser en repoussé a été écartée pour cette même raison),
• la crainte de ma part d'avoir au final des cires trop fines (la réalisation des ornements à la cire perdue est une première pour moi).

Ceci dit, les épaisseurs visibles sur la photo de la bouterolle sont les plus importantes, tous les motifs ornementaux de la pièce étant réalisés en creux.

Pour donner suite aux photos présentées par Alain, voici les deux ornements maintenant ajustés sur la lame. Alain va pouvoir les assembler, et je ferai ensuite les dernières finitions (notamment l'affinage de l'extrémité pour que la jointure avec la lame soit moins abrupte) avant argenture et montage.

La mise aux cotes de ces deux pièces me permet de caler les dimensions finales des mitres et du cache-joint car elles doivent être alignées sur la largeur du parement de lame. Cela me permet aussi d'ajuster l'ouverture du passage de lame dans le fourreau. Toutes ces pièces vont faire l'objet d'un deuxième tirage à la cire perdue.